(Rimes et contrerimes, 2024-2025)
Vers d’autres pays
Mes vrais sujets sont des contrées,
je vous le dis en douce:
des lointains aux lentes vallées
descendant vers la mer,
et tu te laisseras porter,
des neiges antérieures
aux lagons verts des lendemains…
L’Artiste alors était un dieu
peignant comme un jardin,
comme une île surgie de rien,
comme un feu dans les flots,
comme le bleu des atmosphères,
comme va la rivière,
comme la danse aux yeux fermés,
comme un premier sommeil où tout est annoncé…
Le chagrin n’était qu’une peau,
te diras-tu là-bas,
qui te vêtira de sa joie,
tu n’a pas à cacher
ta princière misère
au milieu de l’arche aux couleurs,
ta douleur est l’éclair qui a tout éclairé…
***
À corps perdu
Le corps ne voulait plus, alors:
plus rien qu’une autre vie,
le corps n’avait plus d’autre envie
que d’aller voir un peu dehors
le temps qu’il fait là-bas…
Le corps ne voulait plus de toi:
il fuyait comme un rat
qu’un bruit effraie comme un remords,
le corps comme une ortie,
te brûlerait comme aux lisières
des forêts de l’enfance
quand, jambes nues, tout innocence,
vous traversiez les rivières…
Le corps s’en va, là-bas, tout seul,
ignorant les écueils,
on dirait qu’il a des nageoires,
il semble avoir le souffle neuf,
il lui vient un savoir
qui lui fait traverser les murs
qu’une sorte de nuit emporte –
on dirait qu’on est plus léger,
l’âme enfin délivrée
de toute autre sorte de bluff…
***
Élégie des illuminés
Le calme orphelin vous salue :
révérence à Verlaine
mort aussi jeune que son Arthur,
tout deux à tituber
sur le chemin d’éternité…
Mais le dormeur du val sourit
dans son bel écrin vert
comme un violon épanoui
par les vers de l’Ami ;
la guerre n’est plus qu’un mauvais rêve,
à la corne du bois –
la mort s’éloigne à petits pas…
Gaspard et le tendre Lélian
vous regardent de loin
dans le bleu dédale du temps
où le vieil Arthur de trente ans,
faisant pièce au délire,
a choisi pratique d’en finir –
et les illuminés
de vous saluer à jamais…
***
Le banal appareil
(À l’iconoclaste Thomas Bernhard)
Quand je regarde les photos,
je vois ce que je vois:
ce que moi seul vois de ceux-là,
et pas ce que l’on brade…
Pas le schéma des silencieux,
pas le pauvre abrégé
que la machine sans nos yeux
veut réduire à ces mines
muettes et plus encore menteuses,
au lissé de parade…
Les images auront tout faussé
des visages vivants,
tout est bradé au plus offrant,
tout est banalisé
sauf au vif de mon seul regard
plein d’amour agressif
qui vous arrache au vil reflet
de l’appareil hagard…
(En relisant Extinction, ce 26 décembre 2024)
***
Notre défi
Restez encore à la lumière,
disais-je aux beaux enfants
qui se lavaient dans la rivière
de ces étés d’antan…
Restez, ne bougez pas, voilà:
ce seront des images
qui vivront tant que vous vivrez
et vous serez au ciel
quand les enfants de vos enfants
dans la même lumière
se baigneront à l’avenant…
Tu me regardes de là-bas ,
d’un geste bien à toi,
ta mèche retombée sur l’oeil
rebelle autant que toi,
l’adolescent bravache
relevant le défi d’orgueil…
***
Faute de secours
Il semblait s’excuser un peu,
d’être là sur le rang,
pesant encore de tout son poids,
opposant aux vivants
le long silence de sa voix…
Les yeux fermés tu les découvres
comme autant de secrets
qu’on trouve comme des reflets,
tous te dévisageant,
te soumettant à la question:
mais qui étiez vous donc:
toi le frère ou celle au violon,
toi l’amant de la sœur ,
ou toi le compagnon
des jours solaires ou esseulés…
De part et d’autre du miroir
tu les vois implorer
le Nom d’on ne sait quel secours
que les jours voient passer
les yeux fervents et sans retour…
***
Pièce à l’ombre du doute
Le corps au retour du sommeil
s’abreuve de nouveau jour:
du jamais vu que c’est merveille –
allons donc faire un tour !
Une ombre annonce le retour
du corps à la lumière,
bientôt un doute délétère,
comme un premier remords,
mais tel est l’élan de renaître
que tu deviens le maître
du lancinant ressentiment …
Tu feras du juste milieu
l’accueillant milieu juste
de l’accord accordé en douce;
de l’amère ellipse du jour
tu feras ton éclipse
et si la nuit te désapprouve,
prouve-lui sans détour
que le jour la défie…
***
Nuages de beau
Les forêts s’en vont en fumées,
on voit passer des Îles,
des visages dans les nuées
se forment et défilent…
J’aimais quand tu levais les yeux ,
tes yeux couleur de ciel,
j’aimais le bleu de tes prunelles
comme un reflet des cieux…
Parfois aussi sous les ondées,
nous tenant par la main ,
nous nous surprenions à parler
comme au fond d’un jardin …
Nous survive la rêverie,
vous souviennent les jours,
les inspirent ces fantaisies
de ce qu’on dit l’amour …
***
Tenu à quel secret
(En mémoire de Tadeusz Rozewicz)
J’écoutais l’herbe en moi pousser,
j’étais comme un Indien
des aguets de la première aube,
j’écoutais l’eau couler
entre les herbes de ces heures
aux minutes heureuses…
Seize ans serait l’âge de l’âme
de ton premier poème;
l’affreux Rimbaud dans le décri,
superbe en son défi,
les fascine à trop bon marché,
auras-tu ressassé
en ton orgueil blessé,
mais de l’Arthur obscur
tu invoques le vieux savoir
de génie immature –
quel enfer saisonnier jamais arraisonné…
Ils se décerneront des prix,
se féliciteront
à l’envi tout promotionné,
se cajoleront le giron,
se paieront de mots,
tandis qu’à genoux tel Orphée,
vieil enfant au secret,
tu ne fais que te défiler…
(À la Maison bleue, ce vendredi 20 décembre,
nuageux à couvert, neiges aux crêtes)
***
Le cheval
(En mémoire de Kholstomer le cheval de Tolstoï)
Le cheval se laissait aller,
fatigué de hennir,
bien las d’aller et de venir,
en jouet animé,
au gré de qui tenait le fouet –
le cheval n’aimait pas le fouet…
Qui tient le fouet dans la nature,
déroge à l’animal
qui jamais ne brandit la pierre;
il n’est point de cheval qui lacère
le bleu du ciel de cet éclair
du fouet d’où fulgure le Mal –
le cheval ne fait pas de mal…
Je vous le dis en innocence:
vous m’avez fatigué,
je suis las rien que de vous voir
me taxer d’indécence,
vous me rêvez bien habillé,
tout de blanc et de noir
luisant comme un ciboire –
mais le cheval ne rêve pas…
***
Deux ombres claires
Elle est là partout où il va,
on pourrait dire son ombre
à cela près que son air sombre
ne lui ressemble pas…
Songeuse au café du matin,
dans le jour si léger
qu’on le dirait fait de satin,
elle se tient en retrait,
accoudée au comptoir,
invisible dans le miroir,
mais lui la reconnaît
et l’emmène bientôt là-bas
à la table que vous savez…
Lui demandez-vous des nouvelles
qu’il répond: elle repose,
et l’on fait celui qui comprend,
celle qui croit savoir les choses –
on la croyait mortelle…
Les apparences ont des ruses,
et lorsque ces deux-là
que toute évidence récuse
sans raisons ni tracas,
plaisantent au fond de ce café,
l’on reste médusé…
Le mystère n’est pas ailleurs
que dans cette lumière
étrange et pourtant familière,
hors du bruit et des heures…
***
Élégie intranquille
(pour L. en nos mémoires)
L’inquiétude en sa chambre noire
se rappelle le soir
les heures d’ombre et de lumière
de tant d’années et de poussière
de nuits étoilées…
Vous vous entendez de concert
sans parler que des yeux
dans le précieux silence
du temps qui se souvient
des promesses réalisées
sans autre délivrance…
Rien n’est sûr que cette inquiétude
qui les tient éveillés,
rien ne dit que cet interlude
entre le tout et les riens
à la fin ne les résumait,
amoureux et sereins…
***
Ce qu’étaient nos étés
Les soirées d’été s’allongeaient,
nous nous couchions plus tard,
nos corps étaient abandonnés ;
la mer, en vieux seigneur
rêvait de nous envelopper
de ses vagues langueurs…
Tu marcherais au bout du sable,
ce serait ton désert :
tu tracerais ta propre piste,
tu aurais seize ans maintenant,
tu lèverais le tendre voile
de tes timidités –
tu te ferais artiste…
Les étés restent déposés
en nous comme de l’or ;
il peut se faire qu’on nous dérobe
notre sang passager,
mais les étés en nous demeurent,
à nous bronzer le cœur,
semblant d’éternité…
***
Cahiers d’été
Les livres s’ennuient parfois un peu
aux vacances d’été,
quand les jeunes gens à leurs jeux
plus ou moins déliés
vivent dans l’eau et le vent
ce que racontent les romans…
En Italie du nord quand il pleut,
en juillet-août comme au Brésil,
les livres nouent le tendre fil
des amours éphémères;
mais les garçons n’en ont que faire,
se retrouvant entre voyous
à lancer des cailloux
d’un noir veiné de rouille
dans l’eau de la pluie qui mouille…
Quand Dalida, cet été-là,
en bord de mer, le soir,
chantait là-bas au casino,
nous venions de nous rencontrer
et la voix portée par les airs
de la reine des magazines
berçait nos cœurs adolescents;
et la suavité marine
nous donnait des idées
dans la nuit à jamais parfumée…
Les livres parfois se rappellent
ces années hors du temps
de ces sortes d’éternités
qu’étaient alors nos beaux étés
d’innocents torturés
par nos cœurs pantelants;
ou plus aventureux, hardis,
sautant le mur la nuit
quand nous étions lestes de corps
– bravant les interdits
pour exulter encore…
***
Renard aux amants retrouvés
On se sent forcément perdu
quand on est comme lui
seul égaré dans cette rue
qui ne va on ne sait d’où
ni là-bas vers quelle issue –
ni pourquoi tu es là…
Ils sont comme ça légion,
ne sachant jamais bien
comment on remonte la rue
ou plutôt la descendre,
se montrer aux concerts
ou se laisser aller là-bas
dans les verts cabarets…
Les épouses aux abois s’inquiètent
dans les sages maisons
tandis que là-bas dans la rue
leur infidèle employé file
une tout autre étoile
d’un vague pas dansé –
c’est l’heure où tout peut basculer…
Les guerres sont encore lointaines:
ils ont le temps pour eux,
l’insouciance est souveraine,
il n’y a que les vieux
pour s’inquiéter des bas quartiers
qu’on dit mal habités –
tu ne saurais, toi le renard,
regagner ton terrier…
Plus tard seulement en parlant,
au bord du lit défait
dans la fumée de vos aveux,
se sentir vivants en vos jeux
vous fera, las, vous retrouver…
***
Notre guerre en douce
Dans les battements de nos cœurs
se perçoit au lointain
le bruit de la guerre qui revient,
mais faisons semblant d’être morts
pour aimer sans remords
cette vie qu’on nous envie…
Dans les ruines là-bas dès l’aube,
les amants se relèvent ,
et défiant toutes les trêves
et les fauves qui rôdent
s’étreignent en pleine lumière…
Telle est la bataille du tendre,
la funéraille amère
des violents qui là-bas se pendent
au gré d’affreuse fêtes –
tel est en toi le front de guerre
des cruautés défaites …
***
Où tu t’en vas…
Hélas il ne fera plus froid,
dans le monde où tu vas:
plus de larmes, plus de tracas,
plus de mal au cœur –
plus de coeur…
C’était si bien, vous dites-vous,
de souffrir comme un chien,
comme un mendiant qu’on humilie,
ou comme l’enfant,
là, tout seul au froid qui l’engourdit –
mais quelle chance il a !
Tu t’en iras le cœur transi:
chance de regretter
les ombres sombres de ta vie;
tu te rappelles la pénombre
et la beauté des choses
par les allées où tu t’en vas,
dans le parfum des roses;
tu souriras aux jours de glace
qui t’attendent là-bas…
***
À mon frère, là-bas
« Qui donc a connu son frère ?
Qui d’entre nous a pénétré dans le cœur de son père ?
Qui donc n’est à jamais prisonnier de sa prison ?
Lequel n’est à jamais un étranger, et seul ? »
Thomas Wolfe, L’Ange exilé.
Ils se savent du même sang,
mais c’est en étrangers
qu’ils auront commencé là-bas
de se parler la nuit
des couloirs du pénitencier –
et de se demander:
comment sanctifier ce revoir ?
Mon frère m était cet inconnu
me fuyant du regard
jusque dans les reflets troublés
par le ressentiment
qu’exacerbe le sang;
je n’aime pas ne pas t’aimer,
dira là-bas le prisonnier
du tourment survivant,
je n’aime pas me souvenir
de l’avenir plombé –
je rêve de nous pardonner…
Le sang roulera dans les houles
de plus doux souvenirs,
vos enfances revivent en foules
au tendre revenir…
***
Une langue à venir
(En mémoire de Charles Du Bos)
Lire, alors serait une prière,
une porte qui s’ouvre,
un chemin comme une rivière,
une étoile qu’on découvre
dans l’aube des profonds miroirs;
une voix qu’on entend,
seule dans le grand bruit du noir,
votre voix retrouvée –
la seule d’entre les voies qui tienne…
Les paysages sont exquis
à qui regarde bien:
ils sont le lieu, ils sont le lien,
le lien entre les lieux,
de la muraille des forêts
au secret que recèlent
les ombres au front levé
des vanités et de leurs failles –
reviens donc au plus simple
te suggère le doux lecteur…
La médiocrité ne voit rien,
satisfaite de soi,
ne reçoit rien que le jour donne,
et nul écho n’en vient
que les idioties qu’on fredonne
sur les mornes chemins
où tout est déjà tracé –
mais là-bas d’autres mots t’appellent
que tu liras les yeux fermés…
***
Divines présences
Les oiseaux sont donc repartis :
c’est une vieille loi
qu’on observe chez nous et partout,
dans les villes et les bois,
les oiseaux par delà les mers
s’en vont jusques en Afrique
en vols automatiques ;
les oiseaux comme programmés
de leurs plumes têtues
récusent les hivers…
Comme les oiseaux je refuse
le froid institué
de vos regards que rien n’amuse,
et ma plume indocile
se dérobe à l’hiver débile
de vos sourires techniques –
passés, nos étés vous seront
tant d’ envols bénéfiques…
Mes pigeons, ces rats, dans la cour,
comme autant d’éboueurs
se repaissent de tous les miasmes,
mes frères affreux, vils gueux
puant de vos odeurs,
vous êtes mon plus doux fantasme –
mes vilains colibris
mes chers et divins abrutis…
***
N’importe quoi
(À la Fantaisie)
Je me permettrais un peu tout:
je serais tout oiseau;
mais ayant de fines narines,
aux rivages certains
je peindrais aussi des marines…
Selon les règles matinales,
aux pays de sourire
où ne règne point trop l’Important,
nous autres bonnes fées
d’un peu tout vous ferons pouffer,
et tout payé content…
Oiseaux et chevaux de concert s’ébrouent,
dit le décasyllabe,
et toi, sous le parapluie vert,
telle Shéhérazade,
tu resterais bon camarade
à l’humour de travers…
À Lesbos avant l’avanie
du Violent qui l’emporte,
nous nous aimions bien entre filles,
accueillantes aux garçons
aux attributs de pucerons,
mais fuyant les cloportes…
De tout ce qu’ici nous importe,
nous ferons des chansons,
sans rimes ni raisons,
et pour dire quoi de bonne foi ?
Vraiment n’importe quoi…
***
Ce que la nuit dit au silence
Le secret fait baisser les voix,
et l’on voit les regards
se détourner – on préfère ne pas savoir;
je vous le dis tout bas,
murmure une voix là-bas,
et la rumeur comme une vague
remontée de l’aigreur
se répand en laideurs…
Vous ne savez rien de mes jours,
dit la la nuit au silence,
son vieil ami dont la décence
infiniment sourit
aux paisibles tant qu’aux ardents,
le sourire et le feu
se liguant volontiers en nous
pour faire pièce aux méchants
faussaires de vérités qui blessent…
Les jours ne veulent rien savoir:
ce sont de trop vieux sages
pour se repaitre encore d’images
aux écrans avilis
par toute les simulations –
venez à nous gentils enfants
des secrets bien gardés,
et tout vous sera révélé…
***
Au silence de tes yeux
La nuit les étoiles vacillent,
c’est mon herbe là-haut
dans le temps comme une prairie
aux scintillants échos –
tu me parles toujours…
Les jours, dit-on, nous sont comptés:
n’être plus nous verra
partout étoiler les mémoires;
fermant les yeux je te voix mieux
et plus douce est ta voix
dans les éclats de ce miroir –
je te vis: je nous vois…
Ce serait comme une chanson,
quand nous étions couchés
là-bas au bord de l’océan
les yeux naviguant à la voile
dans l’éternel fracas
du silence bruissant des cieux –
tu ne me quittes pas…
***
Notre temps au lasso
Les Agendas n’auront plus cours,
vous verrez ça demain :
les nuits tout emmêlées aux jours
se perdront en allées et venues
dans le chaos de l’immanent
empire de l’Instant,
et la montre affolée au poing,
tu seras confondu…
Les vertèbres du Temps en miettes
comme en fine poussière
scintillent au firmament –
j’ai bien dit firmament:
ce mot tout à fait obsolète
dont n’usent plus guère maintenant
que les Anachorètes…
Aux abois tendres imbéciles
en exil confiné,
nous nous la jouons indociles
quoique toujours coiffés
à l’Apache endiablés sans peur
sur nos bateaux cinglant là-bas
sous le vent haut debout
des fureurs bravaches des heures
– que de temps rattrapé !
***
Ce don précieux
On n’a en somme que ce qu’on donne,
lui dit en résumé
celle qu’on appelle sa mère,
et c’est pour lui donner
comme une clef du juste ciel,
aussi s’écrie-t-il:
juste ciel je te remercie !
Le don lui a été donné,
de se donner ainsi
dans l’abandon des intentions:
le don les yeux fermés,
et les jeux clos de l’habitude
font qu’on acceptera
cette dérogation forcée
à toute platitude…
Quant au plus précieux de ses dons,
mon fils, dira sa mère,
a celui de savoir se taire;
quand il aime d’admiration:
devant la Beauté même
de ce qui n’est guère qu’un poème –
il donne l’impression
que le pire serait qu’on l’enferme…
***
Ode à la Déraison
Comme un impalpable vertige,
comme un dol irréel,
comme du ciel un océan
d’inconsistants reflets
de maisons séparées
d’une banlieue sous l’eau plombée –
La Terre n’aurait plus lieu…
La Machine a tout formaté,
tout déréalisé,
et Luna voit tout ça du ciel ,
impatiente et vorace,
rongeant le frein du temps qui passe;
le marasme lui semble
comme un fantasme qu’on l’oblige
à prendre pour amant
quand en elle tout s’érige:
le corps et le cœur ardents…
Relancez donc au ciel vos toiles,
redevenez étoiles
de chair et de stigmates
baisez-vous libres à l’épate,
jeunes gens malséants,
prenez garde à tout conseiller
soucieux des mégardes
de l’amour et de ses folies;
trompez-vous donc à déraison,
pièce à l’ennui:
n’écoutez en vous que la vie…
***
Le Vrai
Le vrai c’est que les choses vraies
ne veulent pas de ça,
et tout suaves que vous êtes,
vous en prendrez jusqu’à la fête:
les choses n’attendront
que le temps qu’elles dureront
à leur façon secrète,
juste le temps qu’elles vous mettent
la gorge entre les dents…
Vous souriez: vous êtes crâne
trônant grand en votre importance
vous êtes au regard des mânes
de la plus mondiale influence:
vous êtes l’Immanent
en apparente conférence
avec les choses avérées,
mais les choses vous surprendront…
Il fait de nouveau beau matin,
pour le dire à de vrai,
et te lever te fait du bien
à l’instant de parler;
tu vas le dire: on le dira,
on le dira comme ça,
ce sera juste pour le dire,
et les choses à t’entendre dire
en resteront tout chose…
Le vrai du faux
« C’est toujours avec du vrai que le mensonge attaque la vérité » (Sénèque)
On pourrait dire qu’on n’en sait rien,
il faudrait un poète,
une bonne fée inspirée,
un enfant débridé,
une subite inspiration
pour le tirer au clair,
il faudrait, pour rire, un décret !
Le Président a décidé ,
campé sur ses ergots,
le président tout déicide
a décidé le vrai :
que serait vrai ce qu’il décide
qu’il n’y a que le faux de vrai
et que les choses se suicident
faute de l’avérer…
Ce ne sont là que des chansons,
constate le Congrès
en ses pouvoirs constitués
où tout se chambre de concert,
le Président, ce grand disert
refait le monde tout ovale,
mais nous avons les pieds agiles,
nous autres les fragiles
et du grand cycle nihiliste,
nous prendrons la tangente,
de l’échappée fantaisiste…
Elle et le petit chat
(Pour Anne Marie)
Elle se réfugiait là-dedans,
au fond de l’ombre douce,
comme aux nuits des étés d’antan
dans les ondes où repoussent
les fleurons des belles images,
et c’était une exploration
aux si tendres émois
de tant de mondes oubliés
des ravages du Temps…
Rien que la mort d’un petit chat,
rien qu’un regard perdu,
rien qu’un tremblement de la Terre,
rien qu’un enfant déçu
suffisent à faire descendre
l’ombre sur nos illusions douces…
Mais je n’en démords, dit le chat,
farouche auprès d’elle,
qui à sa dentelle s’accroche
de ses griffes rebelles:
la Terre a tremblé mais qu’importe:
d’autres portes là-haut
dans l’essor des jours espérés
s’ouvrent à nos ébats…
Canto
Je ne dis mot, non: je regarde
les visages du jour
tandis qu’alentour on s’attarde –
à se perdre en discours…
Le garçon que je dévisage
à la beauté passée
chantera-t-il encore
comme le font penser ses yeux
sans trace de remords ?
La vieille pianiste en silence
sourit au beau garçon
qui l’écoute depuis l’enfance
en compagnon secret…
Il y a comme ça des gens
dans le bruit des effets
qui s’entendent au lieu de parler
à l’écoute d’un chant…
Ne pas savoir d’amour
(Aux mânes de W.B. Yeats)
Jeunes, ils se seront donc aimés,
ne sachant rien de rien,
sur le rivage, en nudité,
sans un mot pour le dire –
le dire de l’obscure lumière,
dès l’amour tout premier…
Mort ou enfui, tout autre amour
aura beaucoup parlé:
les vieilles amours savent tout
et les arbres en plein jour
ne sauraient ignorer
la nuit de leurs corps élevés
en feuilles tout là-haut
frémissant entre les écueils
du grand ciel océan…
Vous n’êtes pas morts au remords:
vous savez le failli,
dès l’enfant sans aucun déni,
vous êtes préparé;
mais savoir est ange déchu,
aurez-vous donc appris
dès qu’amour vous fut accordé,
aussitôt enlevé, aussitôt révélé…
Mon âme fille de joie
Mon âme, cette juive errante
tombée en ce bas monde
et projetée dans les tournantes,
en tous sens égarée
t’appelle, toi Méchant immonde
qui a permis tout ça,
en moi lové comme un serpent
sans peur et sans remords
juste assoiffé du sang des morts…
Mon âme en son corps de dentelle
est à jamais frivole
et danse au jardin bagatelle
ou rêve sur l’oreiller mol,
comme une joue d’enfant
jaloux du baiser de Maman…
Mon âme monte tous les soirs,
sans peur et sans remords,
avec le soldat le plus noir
des armées d’innocents
que le vampire encule –
chacun nimbé de pureté :
les corps ont la légèreté
de l’Être sans férule…
Mon âme toute dépouillée
ne se lasse jamais
de vous adresser l’oraison
de sa naïveté;
son cantique de toute chair
ne fait que vous louer,
Seigneur saignant vos univers…
Mon âme fière, jamais servile,
toute joie et lumière…
Conseils de l’Arbre
J’aspire à tout ce beau désordre,
me disait l’arbre en rêve
et sur sa large main ouverte
je lisais la brève sentence
de nos années enfuies –
l’arbre nous aurait bientôt oubliés…
Ta sève n’était qu’impatience,
a murmuré le vent
à l’écoute de cet instant
de pure adolescence
où soudain l’animal jaillit,
et le cheval hennit –
on eût dit que tremblait le temps…
Les mots étaient insuffisants:
le mot seul de racine,
ou le verbe de revenir
vers l’arbre ou vers le vent;
revenir au défi du temps:
le désordre de l’arbre
me suggérait la permanence –
revenir au silence…
(Ce 25 janvier 2024)
Lorsque le bleu revient
On dit qu’on marche sur des œufs,
on fait très attention,
on est timide comme les dieux
se risquant dans les villes
et constatant un peu navrés
que le sacré se perd
dans les utilités serviles:
on voit même des anges pervers,
des violents qui l’´emportent,
des enfants ne rêvant à rien,
aux âmes de cloportes…
L’enfant et le chien vont à Dieu
comme l’eau à la mer,
la rivière descend des cieux
aux reflets de glaciers,
drainant en passant les lumières
d’innocentes clairières
où se sont attardé nos mémoires
revenues en leurs moires…
Cela fait comme un cercle au ciel,
en forme d’auréole :
le chien parle à l’enfant qui rêve
et la sève déroule
son long ruban blanc sur les grèves;
on voit des soleils se lever
dans le bleu retrouvé
de nos vieux cahiers d’écoliers…
Ovale de nos visages
Je me rappelle ton ovale :
tout ovale est parfait
qui s’inscrit dans toute mémoire,
de l’enfant au rebond
de la plus idéale balle…
Ton visage sur l’oreiller
au repli du secret
se déplie en multiples formes
qui se lient et délient
l’informe de tous les dénis…
Les mots recueillis dans l’ovale
sont autant de visages
apaisés après les orages
et les matins ressuscités
en la vallée sans âge…
Gracias à la vida
(À nos sœurs d’ici-bas)
J’ai peu de lettres de sa main,
comme si tout écrit
qui ne fût pas texte sacré
lui eût paru peu digne
de simplement nous raconter,
ainsi se parait-elle
en costume et queue d’hirondelle
pour se poser au clavecin
à jouer du Chopin…
Le carnage entre gens qui s’aiment
ne sera pas de mise
après l’ouverture des valises
à l’arrivée là-bas
devant la mer ouvrant ses bras
sous la lune de miel;
il n’y aura pas de fiel
dans le premier ciel des auras,
et plus haut le septième
de son œil de lune à la feuille,
clignera son conseil…
C’est dans le Psaume et loin de Job,
bien accrochés au mât
des misaines ourdies
par le Grand Océan qui bat,
que nous écrirons la story
de notre humble détour,
et nous clignons aussi,
dans l’herbe noire où tout scintille,
payant ainsi à l’œil
cette maudite vie qu’on aime…
Poussière d’étoiles
Au reflux des larmes tu restes
un peu comme hébété,
comme sonné par le vacarme
du silence esseulé ;
oui ce seront comme des cris
te déchirant à vif
comme des lames de canif
au fond du ciel indifférent…
Malgré l’Absence une illusion
te dit que tout parle encore
qu’en toi tout reprend corps,
et de tout un concert de voix,
la sienne comme aucune
semble écouter en toi la tienne –
mais tu sais qu’il n’y a personne…
À cela près qu’on ne sait pas :
si jamais on saura :
ce qui était, ce qui es,
ce qui sera sous la Grand’ Voile :
poussière d’étoiles que tout cela –
téléphone-moi de là bas…
Nos chemins esseulés
Par tous les chemins j’allais seul,
déjà j’étais l’enfant,
déjà le tendre adolescent,
se tenant à l’écart
de la marche aux rangs très serrés
impatients d’en découdre –
déjà vivant ma seule foudre…
La mer en toute indifférence
dans les pays lointains
t’attend, en l’obsédant silence
qui jamais ne s’atteint –
plutôt chanter dans la lumière,
plutôt marcher là-bas
le long des rêveuses rivières…
Ou bien nous marcherions sur l’eau :
je vous aurais rejoints
par delà d’autres clairières,
je vous aurais aimés,
vous me tiendriez dans vos bras :
ah l’enfant que voici,
ah le bien doux adolescent
sur nos chemins de solitaires…
La chambre de derrière
Carré parfait et toute blanche
au plafond élevé
à fines moulures à l’ancienne,
la chambre donne sur la cour
où les pigeons se tiennent,
et roucoulent comme toujours…
Tu m’attends là comme en retrait,
ton portrait accroché
sous le grand paysage vert
où nous allions marcher,
ton air de madone rhénane,
blonde et ton habit tout noir;
à jamais étonnée,
tu me regardes vivre encore,
seul avec mon remords…
Tout un mur est couvert de livres
dont je suis enivré,
au miroir du très beau parquet
de chêne tout lustré,
je te sais là qui, d’où tu es,
me surveille et m’envie,
couché dans le double berceau
où tu t’es endormie…
Nous resterons comme en secret
dans la chambre qui veille
toi là-bas dans ton grand sommeil
et moi lourd et muet…
Avec ma révérence
(Aux mânes de Rabelais)
À la fin de la nuit les anges
sont un peu fatigués:
veiller sans faillir dans l’étrange
chaos des endormis
requiert de ces doux légionnaires
une santé de fer –
puis en hiver les engelures
s’ajoutent à l’affaire…
Reste pourtant le bon parti
de rire de tout ça;
au top de ce charivari ,
Maître François pourvoit
en sa bonté sans révérence
aux outrances joyeuses,
et de sa panse généreuse,
de ses parties soyeuses
jaillit la plus vive substance…
Boitant bas comme les mésanges
que les enfants caillassent ,
tu te redresses en ta vieillesse
couturée des tendresses
d’amant de toute Fantaisie,
clamant au grand papillon noir
jetant l’ombre au ciboire:
merci la vie et me voici…
Aux lendemains qui chantent
Marcher jusqu’au lilas
deviendra chose incertaine:
la Chine, ce sera
dans une vie prochaine…
Dans une ville, un peu plus tard,
un enfant-étincelle
allumera les feux du soir
à l’étonnement des échelles…
La danse des lanciers
se pratiquera sur la lande
tant que les Irlandais
se saouleront en bandes…
Il n’est pas l’heure de s’en aller,
disait la demoiselle
au préposé désenchanté
à la voix de crécelle…
Quand la mélancolie viendra
sur un air de violon,
dans le silence tu reprendras
sa très douce chanson…
Le lilas passera l’hiver,
et tu pourras attendre,
en regardant ton revolver,
la lumière se fendre…
Dans la ville enfin retrouvée,
tu feras des projets
de voyage en éternité,
comme on n’en fit jamais…
Aux couleurs d’ailleurs
«Arrivée de toujours qui t’en iras partout» . (Rimbaud, Illuminations)
Repartant vers les affections
de pays soleilleux
aux grandes lagunes fertiles
nous nous sentions portés,
en quelque sorte glorieux…
Nos fiançailles à Bali
sont la réponse des couleurs
aux lugubres discours
des violents voleurs et violeurs
de la domination,
quand l’inspiration nous soumet
aux algues et aux dauphins…
Votre bon naturel vous sauve,
enfants de tous les âges
nourris aux fruits de la passion:
vous avez le courage
de n’écouter en vous les voix
que de ces déraisons
qui font qu’a l’ombre la ressource
pousse ses floraisons…
Élégie de la patience
La nuit la ville aux yeux ouverts
repose immobile,
on n’entend rien dans le désert
de l’attente tranquille…
Des ombres vont de par les rues,
là-bas dans les journaux,
des actes, et des numéros –
des choses déjà vues…
Je t’attends, toi ma mélodie,
j’ai toute la patience
de la nuit jamais endormie
au cœur de ton absence…
Comme une alliance
(All’Amica cara)
Le type au bord du ciel vacille:
il ne voit plus la terre
noyée là-bas dans le brouillard,
et c’est aussi sa vie
que son regard à l’instant perd…
Où êtes vous jeunes amants,
hier encore immortels,
craignez-vous aussi ce présent
qui nous brûle les ailes ?
Nulle tristesse au demeurant,
à l’instant ne me vienne:
que votre joie reste la mienne,
à la grâce du Temps…
Rêverie en forêt
Le vieux flûtiste est mort.
On n’entendra plus dans les bois,
le temps de le pleurer,
les roulades de Rossignol.
La douleur oubliée
sous les arches d’un long silence,
par le temps qui s’en va,
nous fera retrouver l’enfant
d’une autre vie rêvée
dans ces années d’avant le temps,
quand nous n’y pensions pas.
Le souvenir en attendant
des jardins suspendus
de Byzance, par les chemins
d’un infini perdu –
le souvenir nous reviendra.
Spleen de Rimbaud
On a fini de se toucher:
on se mouche au regret:
on se traîne en savates molles
au long des quais sans décoller –
on crève un peu de morne feu –
même son ombre n’a plus lieu…
Partout la fin de ces hivers
élève des barrières:
nous commençons à nous dire vous :
les amants se voussoient
que cela fait pitié;
et les amis se choient,
se parlent en baissant la voix,
s’entourant de tels soins
que bientôt ç’en devient sournois …
Ailleurs la mer est d’émeraude ,
mais ils ne rêvent plus,
plus un Indien nu dans le sable,
plus un désir qui rôde
plus de ruisseaux là-haut,
rafraîchi par le vent des vergues,
plus de rivières aux vagues herbes ,
plus aucun de ces coussins bleus
dans les retraits ombreux –
même Rimbaud s’ennuie là-bas
sur le tableau miteux…
Dans la nuit les prunelles fauves
filtrent le noir venin
dont l’ esseulé que rien ne sauve
subira le chagrin…
Doublure
Il a le sourire ambigu
des messagers secrets
survenus à ces moments-là
où tout peut arriver …
Tout l’important qu’on attendait,
tout l’essor affirmé,
tous les leviers et les ressorts
en sorte d’aboutir
aux trônes et dominations –
tout le fruit de l’Action:
la baraka des partenaires:
l’effusion du néant…
Il est là pour te rappeler
ce que tu sais déjà :
il est fidèle comme un chat,
il ment comme il respire ,
il ne te veut que le meilleur
dit son regard trompeur,
au miroir et en vérité –
c’est ton double parfait…
Comme un Rembrandt
(Aux Maîtres anciens)
La nuit au grand museau muet,
s’avance en lent silence
entre les tombes et les bombes,
sans se blesser dans les rochers,
aux clochers effondrés,
ni récuser l’énorme bruit
de tout le bataclan
que la vie arrache à la vie…
La nuit broyeuse au grand sourire
d’amoureuse édentée,
te regarde dormir
ou classer tes monnaies antiques
en regardant ailleurs –
le Grand Ailleurs, disait-elle ironique
en visant le Faiseur…
La nuit convulsive d’un Bosch,
ou d’un Goya camé
aux effluves de tequila,
s’agrippe à vous de ses caresses
et de ses dents vous blesse,
vous fait soupirer à confesse
et de votre tréfonds remonte,
épurée par la liesse ,
la douce et sainte incantation
d’un Rembrant en sa ronde …
À l’instant retrouvé
« Moi, c’était autre chose que j’avais à écrire… »
(Marcel Proust, Le Temps retrouvé)
Pour Mario Martín Gijón
Tu te demandes si le Temps
restera quelque part,
et si des années écoulées
dans l’océan, là-bas,
où des ombres sombres remuent
un chant se lèvera
dont tu ne sais ni d’où il vient
ni où il portera…
La pluie, en ce matin de guerre,
lave les mains salies
en ce monde tant avili
par vous, par nous, par tous,
des enfants qui n’en peuvent rien –
la pluie, le vent, le Temps…
À présent te ravit, petit,
à la fin de ce jour,
confiné dans la tour
des illusions toujours fécondes –
à la fenêtre du passé,
la fraîcheur d’un instant
que tu reçois pour la donner…
Éloge du tendre
Quant aux vives douleurs de vivre
dont jamais ne se lassent
les amants aux passions tenaces,
que nous en délivre la grâce
de plus tendres desseins…
Les extrêmes sont énervants
qui des reins de si peu
voudraient tirer des dieux,
et la bave d’excitation
est funeste aux nations;
aussi d’Épicure le très sage
soyons les bons amis,
discrets et quelque peu volages…
Aux caprices de tout désir
à jamais incertains,
la vague sera vagabonde,
entêtée de plaisir,
criseuse en vaines guerres,
et tantôt ressaisie
sous de neuves et vives lumières,
épurée par les amitiés
des ardents de tous âges
aux chemins sereins du grand jour…
Le Temps accordé
À vrai dire on n’en sait trop rien,
ou disons: presque rien.
L’on vit, l’on vaque son chemin
qui va et qui revient,
puis l’on claque loin des détours
qui vont à l’unisson des jours
par les hauts qui respirent
et les bas qui soupirent…
Nous avons manqué d’attention
aux cours d’astronomie,
et ce n’est rien dire des chimies
et des biologies;
nous nous comparions aux dieux
en minables impies
divaguant des théologies,
et nos essors de matinaux
devinrent machinaux…
Nous regardons passer les trains ,
restons au bord des puits,
relisons les vieux parchemins,
ajoutons aux écrits
de la céleste féerie –
nous allons retrouver le temps
où nous étions enfants…
Jusqu’à l’ouvert
Je rebondis jusqu’à l’oiseau
qui m’esquive d’une aile :
enfants, nous étions hirondelles
envolées des boisseaux,
dans nos cahiers bleus étoilés
des traces de nos mots…
Certain d’entre nous comme le merle
modulait à l’écart,
dont les fées cherchaient le regard,
mais l’orgueil l’esseulait
et le soir venait, et la nuit
qui déferle sans bruit…
Nous ne nous laisserons porter
à notre âge allégé
que par les airs habités
des maisons de nuages
où vont et viennent les nuées
de passereaux volages…
Féerie fiction
Je me dédouble volontiers,
tu souris sous le masque
sans la moindre duplicité:
votre fidélité
ressortit au mystère des dieux
nés des jours et des nuits
où tout ce qui paraît s’enfuit…
Il ne faut pas se regarder,
mais accueille l’image
de cet autre toi qui se tait
quand tu vas pour te délivrer
d’un semblant de secret;
combien alors tu te rassembles
quant au garçon la fille
se disait du pareil ensemble
dans la vive Cité…
Au théâtre des ambigus,
c’est aux beautés cachées,
aux bontés qu’on ne savait plus
déceler au chaos,
que là-bas vous en appelez
en tendres ingénus –
voici donc la fertile alliance,
d’enfantine venue,
des inconnus et de la danse…
Au plus lent sommeil
Les parfums se sont répandus
comme autant de rumeurs,
de secrets très doux à l’oreille
dissipant les douleurs
au double mouvement des heures:
du passé qui sommeille
aux promesses subodorées…
Nos mères fleuraient la pure prose
des attentes du soir
quand, agenouillés dans le noir,
nous sentions arriver
l’oiseau doux du baiser
loin du froid des regards,
avant l’afflux des avanies
puantes des ennuis…
Mais le parfum des répugnances
aura mené la danse
des délices vicieuses
et les yeux fermés tu revois
les chiennes aux abois
sensuelles et parfumées
sans gênes et sans lois
de vos écarts de petits lords
joyeux et sans remords…
Au bois de santal du cercueil
je sens venir la nuit
sans odeur et sans bruit
du plus lent sommeil à venir
où, comme une dernière fleur
aux transparents pétales
donne enfin son radieux aval…
Ainsi le chat Patience…
La merveille est là qui attend,
on dirait: rien qu’un chat,
faute d’attention on dirait :
rien qu’un vieux chat sans nom,
alors que c’est le chat Patience
en sa pure présence
évitant drames et tracas,
en toute bienveillance –
rien qu’un chat rescapé
d’un fracas sur le pavé…
La Dame aux chats est une folle
aux yeux des gens assis;
elle et Patience,
et Saligot le noiraud ,
et les voyous et le voyelles
et les chats millionnaires
ou petit mercenaires
de mégères inassouvies –
tous en polyphonie
se taisent quand vient la nuit…
Hommage alors au chat Mémoire
au milieu des grimoires,
la lippe amère et le cœur pur,
la main douce et la verge dure:
le prince du vocabulaire
entre ses alanguies
et les garçons sans manières
aux yeux de félins dans la nuit
traversent le sommeil
sous les voiles de l’Immanence…
Parler des silencieux
Regardez, mais regardez mieux
l’étonnant défilé:
voici le monde en camaïeu,
et ses ombres immondes,
comme un songe d’émerveillé
tissé de beaux mensonges;
regardez bien dans le miroir
ce qui s’appelle voir…
Sur ton visage séduisant,
la guerre a déposé les masques
infiniment changeants
de ce qu’il faudrait taire
et tu parles d’autant au vent –
tu deviens Argument…
Écoutez mieux les silencieux,
les paupières baissées
dont les mots ne veulent rien dire
au moins en apparence ,
car le déni de tout vouloir
fonde en eux la présence …
Avant toute chose…
Aux galeries de l’impudeur
cela doit exploser,
dès les vitrines en fureur
cela devra gicler:
c’est la loi du marché
qu’exhibent ses putes et pantins –
et que vos livres enfin cartonnent,
incertains plumitifs
en vos complaisants palliatifs…
Aux réseaux l’indiscrète catin
jouant des influences
sème le doute entre mesquins
et s’emporte en violences
dès qu’elle flaire le mutin
risquant l’indépendance
et se levant contre les vils
de la soumission servile…
Nous qui ne sommes ni cravates,
ni férus d’aucun fouet,
nous ne ferons que protéger
nos jouets disparates
et baiserons en grand secret
quelle et quel nous aimons
dans les anciennes positions
du Cantique divin –
vos jolies robes et nos envies
flottant sur les derrières
des garçons et de filles…
Le soupir du chat
Non le petit chat n’est pas mort,
puisque vous respirez,
Jane Austen est juste à côté,
reprisant au fil d’or
sa robe de mariée,
et tu me tiens toujours les mains,
vilaine que j’adore –
ah faisons donc plus attention
de ne pas écraser
le petit chat qui dort…
Il ne s’est rien passé du tout
dans la ville assoupie
où la soupe a toujours bon goût ;
les beaux garçons ont défilé
tandis que tu brodais,
me choisissant mine de rien,
flairant le plus vaurien,
le plus gentil de ces coquins,
le plus docile à tes caprices,
et sachant quelles délices
te ravissent d’un rien…
La métaphore du petit chat
sied au toréador
dont voltige la muleta
dans l’arène en folie,
mais Jane Austen coupe le son
de la télévision
où les toros et les bikers
se livrent à la guerre –
délivre-nous plutôt,
Dieu de nos bonnes maisons,
des fictions inappropriées –
et va pour l’Ironie…
Mémoire de l’Arbre
Les arbres ce matin exultent:
le chêne aux bras ouverts
accueille en culte l’Univers,
et le serpent lové
sur son secret jamais levé
se confond aux excès de chair
et de feu de volcan
que les vents contraires du temps
apaisent en les attisant…
La matinée nous est plus douce:
nous vaquons aux maisons
ou nous nous attelons
aux heures de par les rues;
nous avons aux marchés
des marchandises à marchander,
et les marchands aux bras levés
remontent les vallées
jusques aux ciels ardents…
Au gel étoilé du déni
le veilleur infantile
oppose son défi
de ne rien concéder jamais
aux rassis du calcul
dont l’âme sans ombre d’une ombre
insulte à la beauté
des arbres à jamais oubliés…
La paix de nos clairières
Ton absence me reviendra
tous les jours désormais:
tous les jours le même silence
me reparle de toi,
de ta voix en douceur
par delà toutes les douleurs,
et je te répondrai,
sourd aux sirènes et aux rapaces
du temps où rien ne passe…
Nous nous aimions bien simplement,
en amis, en amants,
cela dépendait des moments,
nous nous trouvions bien au logis
aux enfants et aux chiens
jouant dans la lumière claire
de tes yeux bienveillants;
nous regardions souffler le vent
dans les blanches voiles du lac,
et les soirs venus, radieux,
nous repoussions le bac…
Nous laissons la guerre aux violents
qui l’emportent, dit-on,
comme on le dira des cloportes:
les battantes et les battants
de tout temps aux leviers
du Néant aux lourdes paupières,
gesticulent à l’avenant,
au front de vile poussière –
cependant que, tranquilles,
nous nous aimons dans les clairières…
En mal d’innocence
Nous revenions au petit bois,
là-haut sur la colline
où pour te protéger du froid
je te couvrais d’hermine ;
tu chantais alors des Lieder
et ton pur soprano
dissipait la brume d’hiver ;
puis avant le ruisseau,
là-bas jusqu’à la mer lointaine
nous devenions fontaines
jamais à court de sentiments…
Une guerre venait alors de finir,
à l’envers des décors,
une autre se préparait
aux relents de remords
de n’avoir point assez tué
et le ressentiment furieux
ainsi renouvelé
faisait rage entre rats de cages
tout à se déchirer…
Cette mort-là n’est point fatale,
et pour vous désarmer
la Preuve est nue dans sa chanson
d’ingénue qui racole
les écoliers non alignés
de la joyeuse caracole
des matinées fuguées –
aux collines remontons donc
caresser les hermines…
Aux âmes radieuses
(En mémoire de Zorba, de Bashô et de Richard Dindo)
Sa vie était comme une ronde,
il marchait en rêvant,
veilleur dans la lumière blonde
il allait son allant,
ne suivant qu’une voix lui parlant
et tout indifférent
aux avis les plus avisés
le trouvant arrogant…
Il était si franc de collier
que ça se voyait bien
à ses yeux clairs comme des ciels
ouverts à d’autres lieux
où tous les soleils se levaient
pour se coucher le soir;
artisan de son propre espoir,
il savait ses limites
son esprit tendu lui tendant
sa propre dynamite …
Cependant comme les oiseaux
semblant voler là-haut
il jouait au défi des dieux
à percer un secret
qui partout le faisait creuser
les infinis inquiets;
en lui l’univers s’étonnait:
animal à questions,
tout enfant il intervenait
dans les constitutions;
contre le Mal il inventait
d’ingénieuses parades
et sans obtempérer
déferlait en cascades
de formules très amoureuses
aux devantures pieuses:
de Dieu nous sommes les reflets,
nous sommes condamnés
à ne faire que passer
et sourire et mourir…
Le Dieu de ce vocabulaire
de livres illustré aux fins
d’éclairer les enfances
de toujours et partout
montrait de la reconnaissance
en bénissant le pou
autant que l’importance
du fou se refusant, obtus,
à plier le genou –
le malotru tout en fierté,
bravade radieuse,
faisait en toi cette âme heureuse…
Eva
(Le rêve de la nuit dernière)
Quand au piano dans la nuit
elle s’est mise à jouer,
je ne savais pas qui elle était,
mais sa voix reconnue
d’on ne pouvait que deviner
une ancienne présence
nous parlait dans le silence…
Je savais que tu existais,
et que tu m’attendais,
lui ai-je dit en aparté,
et elle alors particulière:
que ce soit sans secret…
Sa voix ainsi de par les ombres
semblait parler au nombre
et j’en étais impressionné
comme d’une historienne
éclairant les heures passées,
et les gens se taisaient
à la vue de nos destinées…
Elle me parut de ces mystiques
aux vues illuminées
et pas la catholique
qu’à un détour elle révéla,
et son prénom d’Eva,
Juive peut-être en une vie
de longtemps oubliée –
sans un mot des politiciens
ravageant le présent…
Quant au piano que de son dos
elle dissimulait
dans la mise en scène du rêve
lui aussi je le connaissais
jouant du vieux Schubert
la sonate à jamais sans nom
qu’elle et moi préférons…
Juste un peu
C’est le lot de l’enfant déçu
d’être un peu méfiant,
un peu plus que l’enfant perclus
de trop bons sentiments,
mais la confiance est hors-la-loi
et l’enfance des rues
partage parfois l’illusion
des belles ingénues…
Un garçon dressant des serpents
séduit une écolière
là-bas au delà des bruyères
et bientot, mélodie heureuse,
on entend la chanson
de tout temps amoureuse
des cueilleurs d’éphémères …
On voit un reste de lumière
au bout du long couloir
de la misère et de la guerre –
on dira : juste un peu…
L’arbre de chair, d’âme et de marbre
Certains parlent très lentement,
certaines vont jacassant,
certains ont écharpé le Temps,
certaines sur la glace
échappent aux disgrâces,
et devant le vieux monument
passe l’enfant indigent
avide de savoirs précieux,
défiant l’âme vide,
se pressentant élu des dieux
et découvrant Ovide
au milieu des choses
où nul esprit ne repose…
L’orphelin, le petit errant
au cœur dévasté qui déborde
remonte le jour à la corde;
au défi de son lendemain:
il file doux au magasin ,
il ne pense qu’à bien faire:
il va devant il vient dehors –
ce soir on se retrouve au port…
Ainsi toutes les métamorphoses
font de moi ton frère et ta mère,
inconnus et plus familiers
que jamais à toi-même fus
de ton coeur ingénu –
ton lierre me lie à l’arbre,
et ta chair se devine
dans mon rêve de marbre…
Forever young
Nous accourons le souffle court,
nous sommes les inquiets,
la folie qui va désormais
s’efforçant d’effacer
les traces de toute affreuseté
et du pire qu’on retire
des cahiers d’écoliers –
tout cela qui blessait
nos incertaines mémoires
serait soulagé au plus noir…
Au revu de l’état des choses
vous concluez: rebut !
en myopes au milieu des roses
et chez les renfrognés
vous complaisant à renauder –
vos proses à la fin nous bassinent
de vertus assassines –
passez ce soir à la maison
écouter nos chansons …
Avec des si…
Nous nous sommes si bien aimés
que ça ne se dit pas,
enfin si bien: ça se discute ,
il y eut des disputes,
de loin en loin le long amour
s’égare plus ou moins:
Juliette fume le cigare
au dam de Roméo
qui s’endort en plein rodéo,
mais s’il fallait compter,
votre compte enfin y serait…
La Cinquième Avenue le matin,
se dresse jusqu’au ciel,
arrogante berlue ne sachant rien
de ce qu’elle est
quand l’élan de béton,
tout occupé à fouiller l’air,
abruti de colère,
glorifie le nom d’un Pater
imbu de sa misère …
Nous nous sentons moins que cafards
au vu des voyants du Dollar,
mais une céleste occurrence
en nos tendres siestes
bénit à jamais notre émouvance…
Oraison matinale
(Per non dimenticar Vanni )
La toute vieille aux pieds d’argile
revenant de très loin,
titube un peu, fragile,
sans desserrer le poing …
L’enfant cancéreux vous regarde;
sachant tout ce qu’il sait,
on comprend que rien ne l’attarde
à livrer son secret…
Les miraculés au jardin
à peine relevés
devinent les yeux fermés
le parfum des rosiers…
On voit ici la vérité
de la vie comme elle est,
et c’est comme ressuscité
que tu bois ton café…
Donne et maldonne
J’ai fait hier soir dans mon Salon
défiler mes Démons,
mes préférés en pyjamas
de la marque Cobra,
et mes anges aux yeux en losanges
souriaient de concert…
Je revenions de l’hôpital
sans avoir trop souffert.
Les démons avisés le savent:
c’est aux méchants que va le mal:
possiblement au pauvre enfant,
et en toute innocence,
aux yeux fermés de la Maldonne,
à qui ne vaut que Dieu pardonne
en sa divine cécité,
et les anges aux pansements…
Le monde où tout va mal demeure
où nous resplendissons
au milieu des enfants qui meurent
et revivent à l’avenant
dans le sourire des démons
et l’infime chant des mésanges…
Oraison matinale
(Per non dimenticar Vanni )
La toute vieille aux pieds d’argile
revenant de très loin,
titube un peu, fragile,
sans desserrer le poing …
L’enfant cancéreux vous regarde;
sachant tout ce qu’il sait,
on comprend que rien ne l’attarde
à livrer son secret…
Les miraculés au jardin
à peine relevés
devinent les yeux fermés
le parfum des rosiers…
On voit ici la vérité
de la vie comme elle est,
et c’est comme ressuscité
que tu bois ton café…
Profonde profondité
Renoncez donc aux répugnances
et rêvez purement
à mieux accéder à l’immense,
tout au sifflotement
d’une neuve indulgence…
La Science serait matinale,
et la technologie
s’accorderait à l’art floral,
l’école serait buissonnière,
et l’enfant aux fusées
un savant solitaire…
Et pourtant la foule océane
a de ces beautés vagues
que nous aimons voir déferler
quand l’esseulé divague…
Il y a toute une sagesse
au fond de ce qu’on dit
philosophie de populo
tréfonds de vérités
et de toute profondité
sensible au rigolo…
Le regard de côté
La jeune fille au violoncelle
regarde de coté,
on se demande: qui l’appelle?
Qui là-bas a passé,
qu’elle semble suivre du regard,
un lent regard de biais
qui paraît implorer – qui sait ?
L’instrument avait son parfum,
je l’ai choisi pour ça,
ou peut-être est-ce plutôt lui
qui de sa voix m’a délivrée
d’une saison sans mélodie
où j’avais été rejetée
avant de te trouver …
Les vraies rencontres sont des grâces
accordées par le ciel
au dam du hasard monocorde –
je le devine maintenant:
c’était pour lui que tu jouais,
regardant de côté –
lui qui n’est plus depuis longtemps…
Ce que l’oubli n’oubliera pas
Tout remonte des fonds anciens:
ce matin, comme un dieu masqué
de l’Egypte aux objets
se met à murmurer sous l’eau:
où êtes-vous les musiciens
qui saviez écouter
les dieux silencieux ?
Cela reste indistinct:
tu n’es encore qu’une vague idée,
à peine un nouveau-né
dans le berceau de ces années;
tu es à la fois des apnées
aux allées hasardées
et du moment précis
où tout est retrouvé
par la grâce de l’indécis;
tu sens tes mains s’ouvrir
comme pétales de papier
dans les eaux de l’ennui…
Vous appartenez à la nuit,
donnez-nous autre chose
que ces idoles sans esprit
de vos machineries,
leur répétez-vous à l’envi,
vous êtes seul et ils sont tous,
vous voyez clair en vous,
comme à l’approche de ce seuil,
tel un cygne dans le noir
la mémoire au soir se recueille…
Tes frêles pieds palmés
foulaient les eaux anciennes,
tu vis dans la simplicité
de l’aura retrouvée;
ta nudité te reviendra
le verbe ravivé,
les moments, les instants,
et quand viendra le temps,
comme en cercle parfait,
tu rassembleras les enfants…
Amour & Glamour
Ces deux-là étaient amoureux ,
mais aussi de quel droit ?
Qu’avaient il de plus ou de mieux
que ces malheureux-là
qui semblent oubliés des cieux…
On dit: les cieux, sans savoir quoi,
sans savoir de quel bois
les dieux, aux origines,
prenant l’osier aux racines,
ont rêvé les premières trames
des drames langoureux…
L’amour nous est une habitude
survenue comme en douce
et par la grâce des études
menées au secret
se déploie en tous ses effets
spécieux et glamoureux…
De la chair n’ayez nulle peur,
nudités aux abois,
humez plutôt et caressez,
tout en baissant la voix
à l’orée des baisers…
Adorons le Veau d’or
Le Poète l’a dit tout haut:
assommons donc les pauvres !
Foulons au pied les innocents,
et l’abjection du Président
à tête de veau d’or
exulte au charnier de Gaza…
La Honte sur nous tous !
Que des voiles de cendre
abolissent l’instant présent
où des monstres agissent
forts de nos consentements;
les masques de suavité
faussent tout et trahissent
les peuples piétinés …
Mais hurler dans le bruit du monde
et résister à l’immonde
a-t-il donc plus de sens
qu’adhérer à l’Histoire des violences ?
La question seule est la question…
Aux écrans qui s’agitent
Tu es léger comme le vent,
légère passagère,
vous devisez sur les divans
sans penser à la guerre,
vous ignorez le poids des heures –
vous regardez ailleurs…
Aux écrans le monde s’affole:
vous êtes concerné,
dit l’influenceur au Réseau,
et partout la Vertu racole:
bientôt vous serez sommé
de décliner le clan
dont auquel vous vous ralliez…
Ce matin j’ai les vitres à faire
dit le printemps venu,
moi j’ai des chevaux à brider,
moi je chevauche la tigresse
moi je vais aérer ma mère
ténue en sa faiblesse –
multiples sont les raisons
de regarder les horizons…
Et tout à la fin les experts
eux aussi se retirent
comme l’eau de mer ils soupirent
noyés par l’info des néants –
et partout le chaos
fait semblant d’exister
pendant que vous prenez le thé
chez vous, à la maison…
Je ne sais pas
« C’est pour cela que je tiens en si haute estime
ces quelques petits mots : je ne sais pas » (Wislawa Szymborska)
Nous devons être ménagés:
nous prions à l’arrière
à nous écorcher les genoux,
partageant les misères
des imprudents mourant pour nous…
Depuis la nuit du Temps déjà,
le Dieu juste et très bon répète:
tu ne tueras pas
sauf l’injuste se passant de Moi:
massacre moi donc ça !
De Moise au djihad
en passant par l’Eglise : combat !
Je ne sais compter jusqu’à trois
répond ton ironie:
je vous laisse Jérusalem
et autres fantaisies
cruelles et bientot mortelles
de la Manie globale –
Robespierre étant l’autre calife
à narguer le calice …
Allons au pré petites sœurs
nous faire masser par les chasseurs
à la fin désarmés
par nos sourires charmeurs,
et répétons donc à l’envi:
nom de Dieu je n’en sais trop rien,
je ne sais pas le poids du vent,
ni ce que dit ton ombre ,
je ne sais ce que la vie sombre
contient de ma lumière:
cette illusion bénie –
je ne sais pas, je ne sais pas…
(Tout en lisant et relisant
La folie de Dieu de Peter Sloterdijk )
Comme un orbe sacré
Le mystère est simplicité:
l’enfant qu’on dévisage,
la beauté du chevreuil,
l’orage fouaillant les feuilles noires,
et la calme étendue
des lacs aux moires d’altitude
recèlent autant de pensées
d’accord aux solitudes…
L’immense paupière du ciel
se lève après un rêve
aux constatations matérielles
où le chat redevient le chat
au déni des querelles –
et nous voilà comme en prière
à la manière de Baudelaire…
Ce n’est pas tout, car le mystère
accorde son égard au regard
du fou de l’a peu près –
j’ai bien dit: l’à peu près,
dans l’orbe nacré du remous…
Aux veilleurs
(et contre le va-t-en guerre)
Je me retrouve au coin du bois :
je m’étais éloigné :
je me disais tout occupé :
j’étais en conférence
avec divers subordonnés,
commissionnés à la Défense
autant qu’à la Dépense
et autres instances d’influence;
je m’étais absenté
des affaires courantes –
mes pieds ont séché entre temps…
Dressé sur ses petits sabots,
le Président s’agite
à faire à l’écran l’important,
que l’impatience habite :
il lui faut une guerre à faire,
ou plutôt c’est à tous
de se saigner en solidaires
du sang qu’il faut qu’on verse –
il brandit votre cœur en perce…
Nous autres aux abonnés absents
de l’insouciance grave,
nous voyons, innocents, passer
le Temps nous rappelant
le sourire de nos trépassés ;
heureux les dormeurs éveillés,
nous disent aux clairières
ceux qui n’ont jamais oublié –
et nos yeux ne se ferment guère…
No Problem
L’injonction se lisait de loin
par le passant pressé:
elle insistait à le stresser,
et le ralentissait
au point de l’obliger,
clamant l’obligation
de donner à manger végan
au drapeau vénéré…
Les randonneurs sont connectés,
les chiens seront pucés,
dit le nouveau consentement,
et le retour fléché,
à la nature naturelle
est obligé pour ta sécurité
de minable rebelle…
Dieu est mort, mais l’émoji vit,
c’est l’avenir radieux
du sourire et des énergies;
entre écrans nous nous comprenons –
à tout moment: dire j’adore,
je participe à mort,
faisons un selfie vis-à-vis,
l’appli Moi Même te dit tout –
je ne vois pas le problème…
Qu’à l’aube revienne
Les choses semblent s’éloigner,
ou ce seraient tes yeux,
tes très vieux yeux d’ancien luthier
qui te les voileraient
au loin d’un gris cendré,
et les choses alors consumées
au gré des fins dernières …
Je veux dire: noyées de lumière,
précise le luthier, ajoutant :
les violons reposent
et là-haut les cuivres explosent
en fusées radieuses;
à l’opposé des fins de jours –
l’aube en main heureuse
s’ouvrirait enfin au retour…
L’eau des miroirs
Je boirais bien de ton eau fraîche
dit la vieille au ruisseau
dont les bonds capricieux empêchent
de s’en approcher trop ;
elle lisait seule sur la berge
le récit du beau Serge
lui rappelant un homme à elle
au prénom de dentelle,
et le ruisseau murmure :
bois tout ton soûl ma créature…
Le garçon prénommé Lionel
est mort et enterré,
ce qu’ignore depuis des années
la vieille Eléonore,
penchée sur l’eau de son miroir
sans l’ombre d’un remords –
à quoi bon d’ailleurs ces humeurs
de vives endeuillées,
à quoi bon les regrets,
Lionel est ici dans la glace,
sa face est un ruisseau
où jamais nulle ombre ne passe…
Les amants font une musique
à point d’autre pareille
et les jeunes filles aux corbeilles
et les garçons aux pantalons
à rayures vermeilles
se retrouvent au-delà du temps
sans scrupules et sans risques
dans les eaux fluides du ruisseau
prêts à mourir longtemps…
Arthurs à l’auberge
(Schopenhauer et Rimbaud compères)
« Fumée de fumées, tout est fumée » (Qoèlèt)
Ma patrie surnaturelle
est dans le chant des arbres
quand au fil du sabre
le vent les effeuille,
et là-haut les oiseaux
tournoient et s’en battent l’œil
quand les saumons remontent
à l’envers des grands monts…
Mon oubli est contemplation,
ou plutôt l’opposé,
vu qu’à bien regarder les choses
de plus rien ne dispose,
et que partout s’ouvre à jamais
l’été des sept issues
pour la fumée d’une idée seule
qui ne dit que berlue…
Je suis présent à la présence ,
dit la femme au miroir
lequel s’excuse sans la voir:
je ne suis pour ma part
qu’un Moi se reflétant en Moi,
Aristote l’a dit:
qu’en l’A, mais oui, l’A se suffit…
Dilemme de la Diva
(Pour Metin )
Je raconte aux enfants inquiets
qu’elle les attend là-bas,
de l’autre côté des eaux sombres,
où l’on voit des lumières
scintiller au tréfonds de l’ombre –
elle a le temps pour elle,
comme les oiseaux ont le ciel,
mais les enfants sont impatients
de l’entendre chanter encore
Lucia di Lammermoor…
Elle allait bientôt rendre gorge:
sa voix de soprano
se fêlait aux coloratures,
alors elle hésitait,
mais les enfants la suppliaient:
vas-y de l’Allegro,
allegria Luciana,
emmène-nous donc à la mer …
Devant l’océan la Diva
rêve d’un grand divan
où pour toujours elle les attend,
le Temos venant lui dire,
comme chaque matin là-bas
qu’ils finiront par lui venir –
et la Diva feint d’en mourir…
Jeunesse ne passe…
Je me sens tout amenuisé :
considérant mes pieds
étrangement plus près qu’hier,
je flaire comme un rétraction
de mon proche univers,
et mes bras brassent plus étroit,
et les murs étrécis,
et l’énergie comme en sursis,
les lointains s’éloignant
à l’avenant des trains
qu’on entendra de moins en moins –
les trains et les avions…
Le vieux camelot me pince :
il voudrait négocier :
que je le douche et le rince,
que je rende à ses pieds
son ancienne élasticité,
que je lui masse la férule,
et l’aide à fausser les calculs
alors que le pauvre se tasse
sous le poids de la guerre lasse,
et voit sa vue comme embrumée,
ses bras embrasser les nuées
tandis que le sage ressasse :
tout passe nom de Dieu…
Mais à la fin vous m’ennuyez
chante le beau ménestrel,
à l’orée des bois écartés
où vont les demoiselles
et les ardents déculottés,
malicieux rebelles
arrogants, infidèles,
défiant les arrêts du Temps
et souriant à Dieu
le voyeur féru d’anathèmes,
adonnés à la seule Chose
qui de la prose fait poème…
Caïn et Abel, rhum et martini…
(Pour Quentin , au souvenir de John Cheever )
Les deux frères se sont écorchés,
jusqu’au même sang noir
devant la nuit de l’océan;
celui qui frappe frappera,
disent là-bas les eaux ,
mais son frère de son doux sourire
l’a toujours défié
comme du fond de l’océan
le grondement fatal,
la promesse du châtiment,
et tout le tremblement…
L’apéro se prend en terrasse ,
tout au-dessus des eaux,
les frères sont nés pour s’affronter,
le violent et le blond,
la ville et le flou des nuages
aux rêveries mobiles,
ou face à vos couteaux:
ma poésie subtile –
l’alcool réagit à l’envers
dans les verres qu’ébranle
de loin la mer qui nous ressemble…
Plus tard ils nageront ensemble,
se dit le plus violent
qui aime d’un amour secret,
monté de l’océan,
son double par le sang mêlé –
cet idiot d’Abel qui ne fait
que rêver – et nager nous délivre
murmurent les frères un peu ivres..
À jamais les toujours
Ils s’étaient perdus en chemin,
cela faisait du temps,
de longues années quand,
avant de se retrouver seuls,
ils allaient par les prés,
en bandes de petits bandits
chasser les abrutis
des quartiers ennemis jurés –
les jurements de par le sang
les liaient à jamais –
enfin le jamais des enfants…
D’aucuns ne comprendront jamais
la magie d’une fois :
cette foi qu’on avait
en murmures sous le toit des draps:
il était une fois…
C’est une société cachée
sous le couvert des mots.
à demi-mot je te connais ,
toi la sincérité,
toi le bienveillant accueil ,
toi le vieux camarade,
toi la secrète confidence
défiant la camarde,
toi la chance donnée,
toi le plus tendre conseiller,
vous tous et vos toujours –
enfin le toujours des vivants…
Le plus doux parfum
La vieille Rose s’en ira
c’est le plan général,
les rosiers premiers affligés
seront le plus à mal,
mais pas un sanglot ne sourdra
là-bas de leurs allées,
ni des rangées de fraisiers,
ni des halliers ni des ronciers –
pas une larme-là,
fors celle du jeune jardinier
au regard d’épervier
et au dehors tout parfumé –
Céleste fleurant la rose …
Céleste est un garçon modeste
ignorant l’Internet:
sa mère l’a reçu comme un don
du surnommé Frelon
bientôt reparti sous bannière
s’en mourir à la guerre –
et tel est bien le plan fatal
que Céleste dormant au val
déplore que ça fout mal –
c’était sa mère et l’amertume
le tue sur son enclume…
Mais voici qu’à présent Rose
au jardin se repose,
se dit, en aparté,
Céleste le doux jardinier,
et le printemps dans le jardin
s’occupe à autre chose;
il y a de la guerre au loin
où s’enivrent les pères,
or Céleste s’en tient
à jardiner loin des misères –
Céleste est au parfum,
et nulle rose n’a de fin…
Chanson que tout cela
(À mon ange gardien)
Et dans l’immense nuit des mots,
ils se retrouveront,
à sourire et pleurer:
les larmes des mots souriront,
à l’envers de la vie,
de toutes les mélancolies
à jamais rassemblées
en échos infinis,
et le silence alors
de toutes les polyphonies
se fera par les mots…
Tu te tais en me regardant:
tiré de ton néant
tu te regardes tendrement
dans mes yeux sans regard:
je suis l’enfant d’avant ta vie,
et nu dans ton miroir
je reconnais tout ce qu’en moi
tu vois de ton reflet secret
aux moires infinies –
te penchant vers moi tu m’entends
parler comme parle le Ciel…
Nous nous éloignerons là-bas,
en sifflotant des airs,
tu m’auras repris par le bras,
je te raconterai
toutes les joies et les misères
de cela simplement qui est,
et par les mots qui nous viendront
se dira la chanson…
Vitalie
(En mémoire de nos mères)
La mère toute cousue de noir
veille sur le sommeil
de ses garçons sans discipline,
la mère contre la ruine,
sévère envoyée des Seigneurs
se débat très énormément
pour ses deux garnements
dont les rêves hélas
sont marqués au sceau de Satan …
Cependant jamais rien ne lasse
la gendarme éternelle
aux arrêts redoutés des rebelles –
ces deux-là se prélassent
mais en elle comme une grâce
brandit là sa chandelle…
Le grand Caïn est un violent
qui l’emporte à tout coup
quand Abel tout à l’envers
se perd les yeux au ciel
dont le bleu n’est pas du Vrai Dieu;
et voici que son frère aîné,
que sa douceur excède
va pour lever la main sur lui,
mais le Livre ne dira pas
que Mother était la…
Chaque fois qu’Arthur lui revient ,
Vitalie se souvient
qu’en amour tout s’oublie,
et que je te rouvre mes bras
et qu’avec l’autre fille
et le grand frère scélérat,
jouant à la famille,
nous fassions meilleure figure
qu’en vos littératures…
Au vrai Rimbaud était un saint,
confiera Vitalie aux médias
d’estomacs à jamais friands
de ces révélations qu’on avale
et publie à l’aval
de tout philistin qui ne voit,
en la satanée poésie,
qu’une divine catin…
Eulalie moniale
Tu viens d’un monde du matin,
tu leur offres du lait.
ils ont encore les mains aux gants,
ces messieurs importants
arrivés avec leurs grands airs
en ton humble Désert –
faites-vous donc du bien
vauriens cravatés que vous êtes,
mon lait vient de la bête…
Mon cœur est doux comme un cristal ,
leur dit-elle à présent,
fulgurant comme un lent cheval,
mon coeur que rien n’altère,
mon cœur est dur comme un mystère,
mon cœur s’offre en sa trappe –
c’est le Dieu fou qui vous attrape,
dit la vieille en son monastère…
Trois employés du monde utile
devant la Bienheureuse
ressentent la futilité
qui soudain devient miel
au fil tout épuré du lait
bu comme au sein du ciel…
Restés vivants
(Aux enfant de nos enfants)
Le parfum de l’avoir été,
la beauté de la trace ,
la grâce de se rappeler
ce que le Temps efface:
les saisons et leurs moires,
au miroir comme retrouvées
tant de scènes oubliées
et tant de voix perdues,
et tant d’émois éparpillés…
Je nous revois à dix-sept ans,
gravement insouciants
et la pensée blessée pourtant
par cette guerre au loin,
lancinante et sordide,
mais nous allons nous baigner nus
dans l’océan torride,
nos corps loin des menaces –
tout est présence alors
et se fera réminiscence…
Hier a Saïgon c’était le drame,
et ce matin radieux
revit partout sur Instagram:
on est partout tous à la fois
et souvent nulle part
on est le nombre comme en fête –
un clou sur la comète…
Ou ce serait le soir enfin,
sachant la guerre revenue,
tu te rappelles ton frère
errant, à jamais inconnu,
et tous en millions de regards
ils implorent et tu es là
revivant ton remords:
vous êtes tous et tu es seul
au bord de cet abîme ardent…
Ne pas oublier la Mémoire
(En révérence au philosophe inconnu)
Légion te dit l’air menaçant:
choisis ton camp, petit,
cesse donc de faire l’innocent
et rejoins nos fusils;
allons du cran vous les fortiches,
montrez enfin les dents,
le vent nous dicte la Mission
aux écran de télé,
le monde est tout drapeau
– rejoignez le troupeau!
Tu les vois là-bas qui s’agitent
devant l’écran sanglant
et les têtes qu’on décapite
par procuration
font saliver comme on excite;
à la télé la compassion
n’est qu’une fantaisie
de rêveurs ébahis –
passez outre jupons !
Les choses ne sont désunies
que sous vos apparences,
vos écrans de silence:
à la fin délestés
des encombrements de mémoire;
mais votre fin fleure la ruine,
soumise à la Machine,
et vos injonctions se noient
dans les eaux dormantes des âges
où vivent les visages…
Et le plus étonnant…
Le mystère serait le plus simple:
écouter cette odeur:
je veux dire entendre vraiment
ce que chante la pluie
aux prairies étoilées de pleurs,
ou disons: percevoir
ce que toute partie sensible
ressent de l’indicible –
tel serait le sujet
de ton premier étonnement…
Tu dis venir du fond des nuits,
mais au vrai qu’en sais-tu ?
Que sais-tu de l’épiphanie
dont à chaque aube te revient
la surprise réitérée ?
Combien de secrets sans aveux,
combien d’aveux que tu saurais,
et que savoir de ce savoir
sans deviner les yeux fermés ?
Le battement d’aile de l’aigle,
ou de ces éphémères,
l’enfant dormant comme au déni
de toutes vos misères,
le condamné dans sa cellule,
la vaine fumée des fumées
les vivants aux idées nulles,
les douces conclusions,
tout et rien que rien n’a exclu
que le mystère entr’aperçu…
Vallotton à sa pointe
Le drôle avait la gifle douce,
la caresse d’un dur,
la dent mordant à la rescousse
de ce qui fait injure,
il était de juste colère,
en amoureux teigneux,
il griffait doux en langoureux,
on n’a pas mieux gravé
le cri dans le baiser…
Tout déçoit l’enfant sérieux
qu’on n’a assez aimé,
et lui-même ne s’aime pas,
on ne sait trop pourquoi;
la détresse est une eau plus pure
que l’ordure qui rassure
et sans armes, désemparé,
tu restes là sans voix…
Mais on ne s’entend plus là-bas:
de nouveau c’est la guerre
et l’artiste en sa réclusion
d’inutile colère
coupe court à toute effusion –
ne reste alors que cet effroi
dérisoire et vital
de l’ange fait animal…
Ce que dit le poème…
Ce qu’il voit est partout pareil,
dit-il d’un air fâché,
c’est un garçon mal embouché,
peu sensible aux merveilles,
le front bas et le fiel au cœur,
il ricane aux abois,
certain que la vie lui en veut
et tout ce que les dieux
veillant à son plus noir tourment –
il n’y a rien à voir…
La vie le matin met ses gants
de jeune peau de daim
aux doigts de rose, dit le poème
surgi des eaux de prose –
la vie en sait bien plus que vous
des sacres et massacres,
et ricaner est imbécile
quand elle sourit au fou
tout à son chant gracile…
La Machine à tout programmé :
le démon qui ricane
sous l’atroce paupière des jours ,
autant que le rire de l’enfant
jouant des tours à la disgrâce –
mais c’est ailleurs que ça se passe ,
dit le poème en souriant…
Nouvelle du jour
(Au Cantor en son Magnificat)
Je mens en toute vérité
à l’heure sans pareille
où mon cœur tout à la musique
au sommeil se sent allégé
de son ombre vermeille;
mon corps est comme un samovar
où les idées affluent,
mon âme sera l’avenue
défiant tout hasard …
Prenez les mots à la légère:
ils ont à dire des choses
si tendres et passagères
qu’ils en deviennent susceptibles,
les mots tout comme des fougères
où ces formes éphémères
que prennent parfois les femmes –
les mots vous attirent et s’échappent
comme à la trappe vont
soupirs et sanglots de violons…
Défiez-vous des mots cruels,
soyez un peu morals:
comme un petit cheval dressé
tachez de mieux parler:
brossez les mots et les tressez ,
fourbissez moi tout ça
comme un décret de général :
Dourakine a parlé,
répètent les enfants,
simplement signifiant:
que les mots ainsi signifient…
La pierre t’attend là-bas
insoucieuse et patiente,
au silence de son secret –
la faire parler sera ton job:
jamais ne te dérobe,
et fais circuler la nouvelle:
que la grammaire la plus belle
est capable du ciel…
Voyants et voyeurs
« Voyants et voyeurs vont voir ailleurs » (la Rumeur)
Le quelqu’un qu’il voit au miroir
n’est pas tout à fait lui,
mais il se garde de le dire;
il vaut mieux l’écouter:
il dit Je en parlant de soi,
mais la soie du discours
flotte bien au-delà de lui –
qui est-il pour oser dire moi
se demandera-t-on,
mais on ne signifie personne
et lui n’est que question…
Quand revient en lui la lumière,
il ne voit plus que soi:
ce moi que marquent tous les traits
d’un visage apaisé –
la guerre même n’aura pu,
la guerre et la misère,
dans le temps accordé n’ont pu
démentir le présage …
La voyante aveugle là-bas,
en sourirait encore
à voir aux yeux de cet enfant
comme un ciel étoilé:
ce gars-là ne dormira pas:
je vois de la vision
dans la foison de son regard –
ma prédiction vaut un dollar…
Le matin quand on est abeille
Il faut repartir de tout près:
il faudrait revenir
au zéro du proche infini,
c’est cela : il faudrait,
et la faux tranche dans le vif
du geste de beauté
qui d’un premier matin délie
enfin le décisif –
il faut changer l’eau des lapins !
L’éclat de rire à l’aube pure
est le plus beau défi
qu’au repli de tous les dénis
l’heureux imbécile que je suis
balance en insoumis ;
telle la bille de mercure,
le lapin n’en a cure,
qui a jailli de la Nature…
Nature, berce-nous follement
et que l’eau ruisselant
sur nos corps soudain ajeunis
par la fraîcheur de son averse
nous mette le cœur en perce;
il faut falloir, il le faudrait,
la faux signe le vrai,
dira le beau, dira le blé –
et l’abeille consigne…
Avatars de la menterie
Mon ignorance est un océan
dont l’oreiller me berce:
je grandis de ne pas savoir:
je vague et je divague;
de port en port, de porte en porte :
partout je suis ailleurs,
ignorant tout,
ignorant l’heure…
Je porte en moi comme une idée
qui me fait supporter
d’être tant en n’étant que rien
qu’un infini qui flotte,
mais cette idée n’a pas de nom,
et qui veut le savoir
porte l’épée au fond de grottes
où tout reste secret…
Au demeurant le va et vient
d’Ulysse et de sa bande
m’enchante quand je dors
et comme l’antilope rêve
en oubliant Pénélope
et ses fileuses de feuilleton
campant sur les rivages
arrimés à vos illusions,
je reste du voyage …
L’océan est une fumée
dont l’Éternel partout,
au nom qui vous reste ignoré
plus que le rêve du tatou –
l’Éternel à vue de nez
savoure les yeux fermés
les parfums éventés;
et Mnémosyne au pédalo,
loin des serpents, près des oiseaux ,
nourrit les mêmes songeries
fleuries de menteries…
Masque de chair
Qui écrit ça quand j’écris ça ?
C’est la question du jour:
la question qui te reviendra
par delà ton oubli,
quand soudain l’écrit sera signe
d’on ne saura trop quoi,
d’on ne sait qui non plus,
car tu n’y seras plus…
Qu’auras-tu donc été pour moi ?
Telle est la vraie question
car le miroir ne m’apprend rien
que la fragile part
de ce que de mon en deçà
mon regard seul perçoit ,
vers ton si fragile au-delà,
d’ou me revient ta voix,
quand tes yeux m’étaient si précieux …
Je ne sais si je t’ai déçu (e),
c’est la question qui tue,
je me sens partout étranger,
tout est neuf et à moi,
à moi la vue, à moi l’emoi;
je suis votre double à jamais,
et je ne suis pas là:
je vous parle au delà du trouble –
je vous parle d’ailleurs,
je ne suis pas ce que tu vois …
De la liberté ou presque
Ils se sentaient tous égarés:
c’est ce qu’ils vous auront dit
à la montée agressive
des injonctions collectives
affolées par tous les relais
et réseaux en mêlée –
la meute hurlait dans le vortex:
tel était le contexte…
Mais le contexte n’est qu’un mot,
ou peut-être un prétexte
à tout réduire en unité
de douteuse simplicité,
par les slogans et les formules
incessamment publicitaires
dans l’oubli concerté
des évitements solitaires
aux fructueux émules…
Nous entrons en opposition,
déclarent les fileuses,
là-bas, du plus joyeux coton,
vous défilerez mais sans nous,
vous vous alignerez,
vous vous lamenterez,
à genoux et les yeux baissés,
vous vous direz perdus,
comme si vous l’aviez voulu…
La planète est comme un vaisseau
dans les flots étoilés
où nous tissons les destinées
et le juste et l’injuste
se faufilent à l’avenant;
la partition vous est fournie,
et libre à vous d’en disposer,
enfin libres ou presque,
quand tout est presque hors le néant…
Dimanche m’attend
(Pour Jackie, ce dimanche, inclusivement…)
Hélas on a dû renoncer:
elle qui n’y était plus,
et lui ne tenant plus debout,
chacunes et chacuns
se relevant à chaque coup,
à croire que jamais
on ne romprait aucun serment,
mais toustes ont fini
par céder au poids advenant,
sorry auront-iels dit
sans qu’il n’y eût à s’excuser…
Le deuil a passé sans passer:
on reste sur le seuil,
on restera comme amputé;
aux défunts on reprochera
la facture du cercueil,
on fera tout pour détester
la moindre remenbrance
une vie perdue cent de gagnées,
et c sans importance,
clame le populo
qui depuis tout le temps
fait celui qui dompte les eaux…
Ce dimanche on n’est sûr de rien
malgré le philosophe
qui a célébré quelque part
les dimanches de la vie
et sûr que les kids y ont part:
claironnez vos envies,
trompettes à la strophe,
faites la pige au Temps –
mais dimanche t’attend…
Lorsque les mains écoutent
Ils en auront beaucoup parlé :
noirci d’entiers camions
de papier à conditionner ;
Maître Merleau jusqu’au Japon
a sondé la question :
revenons aux fondamentaux,
dit-il d’un ton sérieux
aux Nippons scrupuleux ;
et la sonate de Vinteuil
au seuil d’une autre nuit
module cette mélodie
oublieuse du deuil
d’un luthier rêvant d’infini…
Chacun sait ce que son autre main
ignore si l’autre dort
la main du peintre est ingénue
quand l’autre reste nue
alors que le corps sans voix
repose comme un seul
aux seuil des eaux à mille morts ;
et deux mains à la nage
feront le geste de prier
ou d’écarter les ailes
les appelant à s’envoler
dans le ciel inversé…
Le tangible n’a pas tout dit,
murmure la geisha
que la lecture délivre
quand les mains nouées un peu lasses
se délassent des corps,
et la diva sans vanité
tout à l’aria du seul toucher,
se laisse aller à l’avenant
à l’absolu bercement…
Cruelle poésie
(En mémoire de Vitalie Rimbaud)
Plus vous croirez le ligoter,
plus il s’échappera,
plus vous le clouerez aux mots,
plus il déliera,
en renversant la table,
la folle fugue des vocables;
plus vous lui rappelez Raison ,
plus il répond: Saisons,
et c’est alors un quatuor
qu’il fait sonner léger au clavecin
levant aux prés le sacre du matin…
Sur la photo là-bas l’enfant,
ne semble pas content:
il n’a pas l’air d’aimer poser
comme les collégiens,
souriants philistins
aux destinées de pharmaciens;
il se sait seul quand ils sont tous…
La mère sévère en attendant
s’inquiète en grand tourment
de voir déferler le ravage
sous le front du sauvage
défiant Dieu contre l’usage;
il y a de quoi s’enrager,
à voir le père absent
inspirer ainsi l’innocent…
Vitalie au sort si cruel
se fait baiser à vie
par le démon de poésie,
mais jamais elle ne fermera
sa porte au scélérat
qu’elle aimera plus que sa vie –
l’eau claire et l’ortie des mots
soient maudites et bénies…
Les chagrins éperdus
J’ai vu la vie se retirer
comme le jour, le soir,
et comme on pleure dans le noir
sans oser le montrer,
j’essayais de prier
ou plutôt de ne pas crier
– question de dignité :
à côté de qui meurt
on doit rester bien cravaté…
Quant aux mots les plus adéquats,
je ne vous dit que ça:
soyez léger, trouvez un air,
comme sait en trouver le trouvère,
ou ne parlez que de vos yeux –
le silence est un autre aveu;
je ne sais pas, et d’ailleurs
que dire à l’heure qui délire ?
Enfin s’agissant des honneurs,
on les rendra plus tard,
en invoquant Notre Seigneur,
debout au garde-à-vous;
tout va pour le reste en compost,
afin de recycler,
nos sûres potentialités –
telle étant la riposte
à ces sentimentalités…
Tu te disais mal entendue:
on ne t’écoutait pas:
une âme ne pense pas,
disais-tu qu’on disait…
Je ne sais pas où est ta tombe,
au ciel ou dans la cendre,
le ciel est dur, tendre est la terre –
l’âme perdue n’est que misère…
Le bleu ciel de tes yeux verts
(Pour L. encore et encore…)
Tu as du ciel bleu dans les yeux,
tes yeux plutôt bleuverts,
et le ciel dans tes yeux bleuverts
rappelle un peu la mer …
L’aube le ciel aux airs bleutés
paraissait refléter
le bleuvert de tes yeux levés
vers d’autres univers …
La mer aux infinis bleuverts
me rappelle tes yeux
ouverts à la beauté des cieux
en nos cœurs éphémères…
Le Temps relooké
On disait alors : dans le temps,
on sentait le passé ;
le Temps n’était pas dépassé,
ni perdu dans l’instant…
Au tout début sur le rivage,
ils auront hésité :
n’allait-on pas vers le carnage,
pourquoi se fatiguer ?
Dans le temps avec nos nageoires
nous battions la mesure
la plus harmonieuse et qui dure
raconte la mémoire…
Mais où va-t-on à marcher comme ça ?
demande la Nature
au Dieu de toute créature
qui ne répondra pas…
Dans le temps on se prosternait,
rappellent les aïeux
oublieux des maux imputés
aux caprices des dieux…
Et la mémoire s’en est allée
fatiguée de buter
sur l’air buté de votre mine
occupée de machines…
Dans le temps les prédictions
de toute les façons
avaient ignoré la teneur
des futurs ascenseurs…
Le passé donc est dépassé
et tout est minuté ;
assez de ces vieilles idoles :
le Temps est sous contrôle…
Savoir chanter
Je travaille à la fantaisie,
disait le forgeron,
entre autre coups à l’infamie
du puissant avorton…
Bénies soient les mains de Marie,
madone des chapeaux
qui de fleurs en jolis oiseaux
fait de la ville une prairie…
L’idée est belle mais le chant seul,
innocent et rebelle,
irradie et passe le seuil
des théories mortelles…
Fêtes et défaites
(En souvenir de mon grand frère)
J’ai pris par l’ancien raccourci
qui du ciel au lac
serpente entre les vignes,
et mon sac ne pesait rien ;
à treize ans ce n’est pas toi
qui ne fait pas le poids:
tout insigne que tu paraisses,
tu porterais ton frère
dans la sente aux vipères…
Tu te rappelles tout ça
comme l’été revient:
vous étiez si légers là-bas,
le museau taché de raisin,
les bras ouverts comme des ailes,
cette autre année où deux garçons
vous étiez si sereins,
comme des dieux en caleçons
sur les rochers soleilleux…
La vie sépare même les frères,
et tu le vois ce soir :
tu vois tout ça comme en miroir :
l’eau tout en bas et dans ses moires
les reflets de vos corps
en étoiles qui flottent
immobiles et sans voiles
dans la lumière idiote –
tant d’étés avant le dernier plongeon
de ton frère indocile
croyant se la jouer saumon…
Hashtag TopRimbaud
On le dit le nouveau Rimbaud:
il en a les chapeaux ,
le paletot bohème,
les yeux très bleus comme on les aime ,
et les gestes très lents
de qui pense en pensant –
c’est le génie tout incarné
qui plaît à la télé…
Le nouvel Arthur se pose
en pur influenceur,
l’air pénétré, dur et morose,
l’air blasé de celui qui sait,
il prétend que son JE n’est rien,
bon à jeter aux chiens –
il n’est rien que le faux apôtre
de l’Autre au destin austère
choyé des publicitaires…
Le Prix Rimbaud quoi de plus sûr
va au nouvel Arthur
dont les poèmes ectoplasmiques
suintent le numérique;
foin de rimes désormais
quand règne partout l’algorithme
et l’aval de la meute
avide à jamais de banal
qui ne saura plus désormais
que vibrer à l’émeute…
Nature morte qui vive
On confond la longueur du temps,
et la largeur des heures,
la hauteur des meilleurs moments,
la minceur des instants
qui se glissent entre les pages
qu’a effeuillées le vent;
on oublie que tout abonde
dans la pleine et ronde seconde
du seul présent –
faute de regarder vraiment…
Votre sort est bien de ce monde,
mais n’y a t-il que ça ?
Ne sentez-vous pas que surabonde
ce qui ne se voit pas ?
Qu’à se décapiter au jeu
votre tête à la fête
se fondrait au ciel des idées,
mais alors incarnées:
bonnes idées de tendre chair,
belles idées-jardins,
de maisons fleuries dans le ciel…
Ce que tu vois t’a regardé
quand tu passais par là
il y avait de l’émotion
dans tes yeux étonnés
et comme une tendre adhésion
qu’a ressenti l’objet
qui aime assez qu’on le regarde
sans intention: vraiment,
qu’on garde bien l’objet en soi,
qu’on l’aime et qu’on le garde…
Amadeus for ever
« Merveille des merveilles, sous le lilas fleuri, merveille je m’éveille »
(Jean-Pierre Schlunegger)
La merveille apparaît comme ça :
sans jamais crier gare,
à la façon du vieux Mozart
à ses sept ans déjà,
quand du piano les pieds en l’air
il faisait monter la lumière;
le vieux piano rajeunissait:
jamais je n’ai sauté
si joyeusement à la corde,
murmurait-il en plein sommeil,
et tout l’orchestre à l’unisson
répétait la chanson,
dans l’harmonieux désordre:
merveille sous le lilas…
Quand le piano voyage en rêve,
les mots ailés reviennent
qui font comme une trêve
dans le bruit abruti,
les guerres n’en finissant pas
le bruit des violents imbéciles
qui battent et frelatent
au dam de nos âmes dociles
tout ce qui échappe au néant…
La mélodie pourtant survit
au regard innocent
du seul nom de Mozart
dont les os au néant reposent ;
au néant, je veux dire:
au ciel où la lune
à l’œil à couleur de prune
voit les choses autrement:
la merveille là-haut reflétant,
en mélodie commune,
comme le veut l’enfant Mozart
la merveille du lilas…
Comme un brin de paille
(À la lumière de Verlaine)
Le passé nous attend en douce
en constante ressource:
il suffit de mettre à la voile
au présent des étoiles
pour voir se révéler des choses
au-delà de nos proses…
C’était la qu’on ne voyait pas,
et cela restera celé,
ou disons morcelé
comme éparpillé au tréfonds
de notre ciel profond …
Je lisais Dante dans mon coin,
dont Rimbaud n’est pas loin
sans s’en douter le moins du monde
et les images à l’avenant
venaient et venant revenaient
comme les vents en tourbillon
de Florence aux Ardennes,
et des lucioles en plein jour
affolent les boussoles…
On a écrit qu’au samedi
d’avant Pâques en gloire
le Crucifié dans les enfers
défiant tout espoir,
consolait les damnés –
et l’histoire répétée
par tous les chemins étoilés
et dans le temps de gare en gare,
éclaire l’Innocent
quand dans le sang gronde en rumeur
la voix de l’océan…
Ce que tu vois te regarde
Ce que le ciel dit au rêveur
à l’insu des savoirs
et autres répons de mémoire
se lit au bond du noir
où le Temps restait en suspens,
et tout est clair alors
dans l’apparence d’un délire :
tout se délie comme à l’aurore
d’une vue qui aspire
à la chanson des choses…
Tel est l’élan réitéré
à tout nouveau sommeil
quand à tout coup le corps
qui s’ébroue et ruisselle
reste immobile au fond des limbes ;
puis le ciel redescend
à la vive source antérieure
et fuse imprévisiblement –
ah que nul ne reguimbe
à l’instant de l’assentiment …
Tu te reconnais à l’éveil :
la mélodie en toi
se déploie, et comme appareille
et s’envole et révèle
l’étonnant renouveau
des objets juste disposés
au visible pourtour
de ce qu’on devine le jour –
de regards en regards,
ce que tu vois là te regarde…
Ce qui fut et sera
Il marche là-bas vers l’abîme,
mais personne n’entend,
si ce n’est quelques innocents,
son dernier chant le plus intime
qu’en écho le vent de la lande
reprend chez les dormants –
les Sept Dormants vous le savez
sont autant d’innocents…
L’innocent est l’enfant des ombres,
à la fois père et fille,
toute vigueur et fantaisie,
échappant aux définitions,
tendres fils à leurs mères
que la rime veut éphémères –
hélas tout boitera toujours
à l’ombre de nos jours…
Il dit là-bas son au-revoir
aux choses d’ici-bas,
salut à la beauté des choses,
salut même aux méchants,
ces innocents désespérés
dont nous ignorons tout,
ne croyons pas que les violents
jamais ne l’emportent;
le néant sans porte n’est pas –
salut à ce qui est,
ce qui fut le reste et sera…
Et comme surpris au silence…
Et ce qui vous sera repris
sera le don précieux
qui reste là sans nulle trace
comme une vaine grâce –
tant de mots pour tâcher de dire
ce qui reste secret,
ou plutôt ce qui est insu,
ce qui reste inconnu,
bouche cousue, mystère –
point de mots là non plus…
Ou ce serait à murmurer
derrière cette barrière
imagée par le vieil Homère
des dents de qui voudrait parler –
et qui pourrait l’entendre
celui qui ment comme il respire
dans le vent qui soupire –
et pourtant ce murmure
vous console de sa blessure…
Comme un souffle aura donc passé
que nul n’attendait plus
au jardin dévasté,
comme un relent d’un chant passé,
comme un rebond forçant l’oubli
à ce prochain repli,
comme un rai de quelle lumière –
et c’est à répéter:
comme un trait lumineux
tracé que le silence efface…
Confiance aux artisans
À présent laisse-moi tranquille,
dit la Vieille à son Dieu
formant une boule de feu
au-dessus de la ville:
tes flammes à la fin me fatiguent,
ce sont plutôt des rames
qu’il me faudrait ce soir
pour naviguer dans l’or du noir
quand le soleil décline…
Le Seigneur saigne sur sa croix :
c’est de la vieille histoire
qu’à l’enfant la Vieille serine,
et l’enfant tombe sous les bombes
au milieu des jouets, moralité : devine !
Quant a moi sous ma croix je dors
debout dans mon cercueil,
et ceux-là porteront mon deuil
qui me tiennent pour fou…
Nous savons réparer les choses,
rafistoler les roses
et les vieilles en déraison,
nous sommes artisans,
murmure à la Vieille l’enfant
venu la voir au cimetière,
une ortie à la boutonnière;
à présent dors tranquille –
nos affaires nous requièrent en ville…
Comme une voix revient
« La note d’or que fait entendre
un cor dans le lointain des bois » (Verlaine)
Tu ne me quitteras jamais,
au grand jamais des jours
dont le sombre tambour là-bas
dans le lointain des gares
assourdit la lumière –
jamais je n’ai tant espéré
qu’en cet instant perdu
où tu m’as reconnu …
Les défunts ont pour eux le nombre
comme un lourd océan
où toute voix particulière
s’oublie ou dégénère –
c’est le tombeau des cris,
c’est le chaos à tout jamais,
c’est la troupe avide du rien
que du vide stupide –
et c’est là que je t’attendais…
Une voix ce n’est presque rien,
une voix qui disait
ramenée alors par le vent
de l’autre bout du temps :
il était une fois…
Non pas le ciel
(En mémoire d’Emily Dickinson)
Non pas le ciel que vous pensez ,
que vous croyez à vous,
que vous louez les yeux levés,
convaincus qu’il vous voit;
non pas le ciel qui parlera,
ou se taira: qu’importe,
pas le ciel qui écoute aux portes,
mais le ciel vert qu’il y a là –
le ciel aux yeux ouverts…
À Pérouse cette année-la,
le ciel vert était rose,
et la prose de nos murmures
s’accordait à ces choses
dont on est sûr alors qu’elles durent;
à Sienne aussi, puis à Séville,
à Sils, à Ségovie
aux noms suaves oubliés,
les ciels auront laissé
ce bleu d’éternité qui nage
à l’envers des nuages…
Non pas le ciel jamais nommé:
juste le ciel donné…
Comme une mélodie
Que sombre en moi toute pensée
et que se noie la transe
de l’illusion dansée
où nos corps exultaient
dans le décor immense –
que tout cela soit recueilli
par delà tout oubli…
Nous aimions partager le silence
de nos contemplations,
ou les denses conversations,
les mots qui ne veulent rien dire,
ou façons de sourire:
les lazzi, les horions –
tout un trésor de fantaisie…
Vienne le temps de se parler
au delà des seuls mots:
au delà des mots esseulés,
il est cette parole
que l’on apprend à écouter
en se taisant beaucoup –
mais ce qu’elle dit reste secret,
et pour ainsi dire sans prix,
ou disons que ce ne serait
à jamais et partout
qu’une espèce de mélodie…
Comme le ciel battant
Le ciel se sent parfois tout seul
dans l’espace sans fin,
il se sent un peu fin de race,
et perd de sa boussole :
il n’entend plus bien les grâces
monter en fumeroles
des chambres d’enfants de là-bas;
il ne sent plus à sa narine
ce parfum de baiser
de fine adolescente
de la petite mandarine –
il se sent fatigué…
Tout ce que le ciel aura dit
ou qu’on lui a fait dire
reste encore écrit quelque part
en petits bleus entre amoureux
ou traits de Coléreux,
alors que le chant seul nous chante
du ciel que tout enfante…
Tel étant au vrai le secret
du ciel qui n’en sait rien:
que s’ouvrant au vide accueillant
du seul instant présent,
le voici battre palpitant…
Comme un voyant illettré
Il reste toujours à cheval,
c’est question de principe :
dès ses premiers temps maréchal,
du mental en ses tripes,
il sera le fils de lui-même :
« il n’est pas de problème »
aura-t-il clamé par les ans,
qui ne se règle au fil d’épée,
de taille et puis d’estoc,
mes vers ne seront que du toc –
je suis mon seul aval…
Les psys se sont interrogés
au chevet du sujet :
il n’y a trace chez ce type
du malheureux Œdipe
flinguant son pater militaire
et baisant la mégère
lui tenant lieu de mère sévère –
rien du scénar à bon marché
des catéchèses éculées :
rien que du neuf en ce bel œuf !
Les assis n’en reviennent pas,
les pontifes aux abois
redoutent la déroute :
quoi ce voyou voyant
nous la ferait à l’impériale
caracolant sur sa monture
indomptable cavale –
quoi le temps porté par le vent
et ce chant avenant
feraient l’enchantement
de toute Créature…
Le parler en entier
(Pour Kamel Daoud)
Il y a en elle un parler
qui peut dire un peu tout,
je veux dire: bien plus que beaucoup,
mais comme à deux étages
avec le dessous du dedans
pour le plus important,
le plus secret en son accès,
et le dessus pour le courant
de la parole divisible,
clairement accessible –
mais parler pour elle est tout un…
Ils ont tenté de l’effacer,
tant elle était impure,
issue du péché de toujours
des immondes amours,
mais va savoir quel égaré
l’aura prise en ses bras
ce matin-là dans la Nature,
et la double parlure
du cœur et de la vérité,
diffuse son aura…
Ce qu’elle a vécu d’interdit
de parole dans le pays,
dont la Loi a scellé l’oubli,
elle le dira du seul regard,
et puis elle l’écrira,
au dam des parlers consacrés
convenant à la meute,
et quitte à provoquer l’émeute,
elle deviendra livre
où chacune et chacun verra
que parler nous délivre…
L’obscur savoir
(Sur le fil invisible)
D’où cela vient tu n’en sais rien,
vous n’avez pas idée,
ils sont là comme au fond d’un bois
à errer: la selva…
c’est écrit: selva oscura –
c’est de l’italien très ancien;
mais cela vient d’encore plus loin…
Il y a là comme une fosse,
et le ciel par-dessus,
il y a dans la profondeur
la peur d’y retomber ;
tout autour on entend des voix,
un visage penché,
une main passe sur ton front
comme un jour qui se lève,
mais si légère, mais si brève…
D’autres jours suivront dans la nuit,
mais qui saura jamais
d’où cela vient, où cela va;
et qu’importe à la fin qu’il semble
n’y avoir de porte
que pour voir dans le noir –
ce que tu sais tu le seras…
Comme ces heures exquises
Quand la mer gît là-bas, inerte,
grise et bleue plus que verte,
en immobile voyageuse,
les violences momentanées
aux menées de tueuses
un instant semblent hors du temps
rendues à l’Innocent –
si jamais l’innocence fut…
Ce que tu crois la Vérité
est écrit sur de l’eau,
tu marches au milieu des blés,
tu as l’air d’un oiseau
insoucieux et volage,
tu fais celui qui n’a pas d’âge
alors que les blés te racontent
le dam à tout ravage –
regarde mieux les cieux …
Le grand ciel divers sur le lac
brasse ses vents contraires,
chacun disant sa vérité,
et les brises s’en amusant,
caressent en passant
les adolescentes exquises –
la vie est soumise à la grâce
qui n’en fait qu’à sa guise…
Comme une grâce
Le soir les gens baissent la voix,
le long du quai aux Fleurs
où tant de fois aux mêmes heures
où le lac enflammé
découpe en ombres de papier
en silhouettes noires
les gens soudain plus importants
d’augmenter la beauté,
nous nous regardions …
Si je n’étais pas seul ce soir,
je ne saurais revoir
au ciel comme abandonné
l’image de ton visage
souriant à la dérobée
à ce que sans le dire tu sentais
du jour semblant perdu …
Cela ne se perdra jamais :
le coucher du soleil paraît
un cliché bon marché,
et nous marchions alors
dans l’or en fusion du lointain
que nous tenions en main,
mais passent à l’instant les vivants –
que revive la grâce…
Comme au printemps une main
Il recopie de vieux écrits,
ses longs cheveux sont blancs
comme la neige des printemps
effacés par l’oubli;
mais les mots des jours et des nuits
que la main recopie
sera demain le lendemain
d’autres vies livrées à l’oubli…
Moi j’allais sur mes dix-sept ans
au salon d’agrément
où mes sœurs aimaient se faire belles
et j’écoutais ce qu’elles disaient:
c’était la volière aux rebelles,
comme le plus bruissant bouquet
de vocables soyeux
comme autant de joyaux joyeux
ruisselés des caquets –
mais cela ne se décrira
que par l’écrit, je crois…
La fumée des papiers brûlés
ne nous empêche pas
de lire ce que le vieux cinglé
recopiait là-bas
au dam des vigiles de l’Oubli
répétant à l’envi:
ce ne sont qu’histoires inventées,
effacez-moi tout ça –
et la main légère au printemps
de remonter le Temps…
Comme rêvait le Capitaine
« La grammaires est la base, le fondement de toutes les connaissances humaines » (Frédéric Rimbaud, père d’Arthur, combattant en Crimée et traducteur du Coran)
Je ne vous entends pas très bien
dans le grand bruit que font
tous vos influenceurs,
où toute opinion les vaut toutes,
où tout devient déroute,
parodie de vaine sapience
ou prétexte à haute palabre
dans la langue de marbre,
je veux dire : la langue de bois
au fil de sabre
de l’imbécile impatience
indifférente aux vraies saveurs…
La Machine saura très bien
mimer cette grammaire,
et moduler tout savoir-faire
de l’ancienne parlure
sans faille ni rature,
saura même le point-virgule,
secret de la férule
des anciens maîtres littéraires,
saura tout n’est-ce pas,
sauf le devinez-quoi…
Le père de Rimbaud parlait fort,
mais rêvait en secret
d’un fils lui sortant de la cuisse
et parlant comme on dit: en langue,
sans éviter l’harangue
un peu vulgaire dans les troquets ;
un vrai fils quoi, qui bande et pisse
au ciel où Dieu ravi
qu’on Le fasse exister ainsi
ne peut que tout bénir
de ce chant et de son soupir…
Comme une douce folie
(Ou l’autre voie de sagesse,
ou les figures de l’Aimant)
Les gens ne l’aiment pas beaucoup:
il est trop différent,
et ne partage pas le goût
du nombre dit influent;
il ne fait rien comme il faudrait,
ne croit pas aux idées
ou plutôt n’a que des idées
portées comme des croix ;
il semble en effet cloué
à la seule pensée
qu’on suppose délibérée,
et pourtant il éludera
tout ce qu’on en dira –
personne ne saurait l’aimer
qui ne comprend pas ça…
Il est ouvrier et chercheur,
elle est maître verrier,
il est tourneur en atelier,
elle est apiculteur,
iels se reconnaissent à ça
qu’ils sont de bonne foi,
aucun d’eux ni d’elles d’ailleurs
n’a le même tailleur –
toustes sont sapé(e)s à la dyable
en désordre admirable…
Il n’y a de règle au Mobile
qu’à la loi de l’Aimant
très subtil ustensile
à portée du premier enfant
sensible et vibratile –
aussi tenez-les bien en main,
l’enfant à son entrain
et le chien si l’enfant est aveugle –
quant à l’Aimant, disent les Chinois,
pendant que la meute beugle,
plutôt que l’outil de la Fin,
voyez-y le Chemin…
Comme un vieil Hidalgo
Les chevaux regardent ailleurs,
dirait-on ce matin ,
ils n’ont plus cet air batailleur
qu’ils avaient à l’assaut des cieux ,
fouettés par l’élan orgueilleux
de l’âge qui s’ignore
quand ils faisaient les matamores –
les chevaux sont rêveurs…
L’écheveau des pensées amères
que tout rejette en vous,
ou rejetait naguère,
vous enténèbre ce matin
d’hiver un peu funèbre,
où tout à coup la fièvre
d’un vague dégoût de vous
vous éloigne de tout…
Ou la crinière à pleines mains,
les éperons de l’illusion
plantés dans le vieil étalon,
seront de bonnes guerre:
aux filles de feu du solitaire –
et va comme le Temps rime
avec le goût du crime,
relance la chimère,
va ferrailler contre les rats
sur ton vieux palefroi…
Comme à fleur de mémoire
« Per non dimenticar la memoria » (Guido Ceronetti)
Si ce n’était que de la perdre,
mais nous y ajoutons
l’effort désespéré
de l’effacer de nos savoirs,
nos esprits égarés
de se voir ainsi déniés
par la fonction d’usine
de la seule Machine …
En fichiers voici l’agonie
de la vraie psalmodie
que nous disions jadis debout
dans la forêt aux loups,
ou gisant après nos amours
les mains nouées aux jours,
les yeux tournés à l’intérieur
comme ouverts aux lueurs
des souvenances qui demeurent…
En nous l’agonie survivra
à la douce lumière
de ce qu’étaient alors
les prémices d’aurores;
je me souviens de ma naissance,
murmure le dieu des mots –
Homère n’était aveugle
qu’aux visions passagères
alors que nous, fragiles,
nous tenions fermement au cou,
le lièvre tout agile
de la mémoire volatile
se souvenant de nous…
Joyeuse sera la remembrance,
quand reprendra la transe
de réciter par cœur
l’amour de l’amoureuse fleur…
Comme un air d’éternité
L’éternité ne se dit pas :
elle se pressent couché,
l’été dans le livre du ciel
au silence bruissant
faisant écho à notre sang ;
l’immensité est toute là
qui paraît écouter
nos mots qui ne la diront pas…
Les enfants timides sont là,
qui se taisent interdits,
mais rien ne leur échappera
de tout ce qui se dit
par la seule prose des choses –
et c’est un livre aussi…
Le vent, d’une main qui respire
disperse les ouvrages
qui jamais ne seront écrits;
il brasse l’air et cela fait
en nous monter les mélodies
et le chant comme l’harmonie
des étoiles en été…
De chair et de temps
Quand affleure le désir de chair
au parfum matinal,
ou quand fleurit le carnaval
des couleurs de passage,
en toute ardeur et de tout âge;
quand le garçon bondit
à cru sur son cheval,
dans la foulée sauvage
des filles aux cheveux tout défaits,
vous relâchez vos cris,
vous vous croyez vivant longtemps,
et le Temps vous sourit…
L’écharde est pour les empêchés
du plus simple abandon,
quand pêcher à l’hameçon
d’un sourire de travers
reste si bon aux tendres frères –
et sœurs à l’avenant…
À chaque bestiole sa babiole,
chanteront les aïeules
se rappelant les cabrioles
un pied dans le cercueil;
baisez donc jeunes gens,
tant que le temps est au bel âge,
avant d’aller vous reposer
aux paisibles rivages…
Le bouvreuil d’Emily
« Et je soupire faute de ciel – mais non pas /
Le ciel qu’accordent les croyances » (Emily Dickinson)
Fragile, opposant l’arme blanche
de son sourire tranquille,
au lieu d’aucune des revanches
qu’inspirent les désirs,
la nuit venue il va parler,
à l’insu des vivants
aux disparus des temps récents,
dont le silence même
lui est le plus ardent poème…
Baudelaire ce soir est absent,
trop princier dans le noir,
mais deux yeux comme pris au ciel
d’un pâle immatériel
semblent chercher l’ardent en toi,
ou l’autre différent,
voici le voyou des vocables,
l’ami des écraseurs de poux,
le dormeur éveillé –
voilà le poète incarné:
le Rimbe des illuminés…
Aussi pour la mélancolie
Leopardi parlait
à la nuit que tu écoutais,
et Verlaine au cœur le plus pur
à l’Américaine Emily
perdue dans la nature,
parlait de leur petit bouvreuil
au rebord des cercueils –
douces âmes sans autre défense
que l’innocente transe…
Comme un air enchanté
Le vieux sanglier tourne en rond
dans le grand magasin,
et se demande pour de bon,
sans être trop mesquin,
si le temps n’est pas arrivé,
pièce à trop de misère
et d’inutiles guerres,
de foncer front bas dans le tas,
sus a l’indifférence,
et de lacérer les souffrances…
Il y a là beaucoup trop d’objets,
pourrions-nous ajouter
au constat du vieil égaré,
trop de pensées futiles,
de victuailles en bataille,
et trop de tout en somme
qu’on pourrait dire comme un néant
qui défaille sans faille…
Le vieux fou et sa vieille folle –
oui folle fut leur vie -,
titubant entre les rayons
de miel et de sanies ,
chantent comme si de rien n’était,
et d’un air enchanté,
fredonnent l’air du sanglier
que sa folie pardonne…
Comme un défi au Dieu maudit
(En mémoire d’Adonis
qui interrogeait le requiem silencieux)
Le ciel a tout anéanti,
ou plutôt que le ciel:
sa parodie gorgée du fiel
de la haine répondant
à la haine sans retenue;
le temps des assassins
se réclamant d’un Dieu cruel
advient sempiternel
de par le monde aux noirs desseins…
Il est tout sourire suave,
le faux dieu des esclaves
ou plutôt des serviles
de volontaire soumission –
l’unique en sa blanche tunique,
le patriarche en sa grande arche
de maître des illusions
aux visées punitives –
Dieu qui tue je t’occis:
je le dois sans lever un doigt…
Heureux soyez les pacifiques,
a dit l’Illuminé
au dam des tribus invoquant
leur Dieu parodié –
heureux les valeureux armés
de leur seule conscience,
heureux les esprits clairs,
heureux les cœurs de tendre chair,
heureuse la lucidité,
heureux les enfants de lumière…
Comme une oraison
Prier serait la seule issue,
sans donner aucun nom
à cette seule invocation,
au milieu de l’effroi
de la seule présence nue ;
prier avec des mots
ouverts au semblable divers
ou peut-être sans mots
dans le silence blanc de l’être,
ce bleu silence au fond de soi –
le silence des bois…
Comme le hautbois en forêt,
ou comme en toi cette voix,
cette voix en toi qui résonne
sans raisonner jamais,
tu te sens comme libéré
au milieu des secrets ;
au-dessus de la canopée,
passent les heures ailées,
passent les pesants bombardiers
du néant incarné
que le Temps fera trépasser –
passe la fumée des fumées…
Les mains jointes sans rien savoir
que l’autre nom du Ciel,
la vieille savoure le miel
que c’est de simplement prier…
Comme une féerie
(Pour Adrien et Chloé)
Les poissons bleus dans le ciel vert
font comme des losanges,
un œil flottant dans l’immanence
où s’entend le silence:
le rêve est une eau patiente
à la mémoire lente…
Ce qu’il faut dire est la beauté
de ces apparitions
que les sirènes ont devinée
à l’insu des raisons,
sinon qui dirait la chanson
montée des profondeurs,
et qui oserait divulguer
le secret des dormeurs ?
Nous n’oublierons pas, enfin,
la mémoire qui revient
du tréfonds des eaux vertes;
quand, au bord de la mer,
ou de la rue déserte au soir,
nous nous attarderons,
nous verrons entre les étoiles
ce que l’on voit sous l’eau;
quand on ouvre les yeux sous l’eau,
on voit de ces tableaux…
Comme un rêve d’enfant
Ils parlaient avec des images
que j’écoutais muet:
ne lisant qu’au vu des visages,
à l’aperçu des yeux
décelant un autre langage
d’une voix inconnue,
ils étaient d’une beauté rare,
mais ce dire inutile
trouble d’autant, futile,
ce qu’ils disaient en se taisant…
Le rêve n’a rien d’innocent:
les livres que j’ouvre au hasard,
imprévisiblement, me soufflent
à tout coup des pensées,
et comme on dévisage je traduis,
interdit, ce que la-dans on me dit
comme tombe d’un ciel d’orage-
une incertaine moquerie…
Le froid angoissant du social
vous attend à l’éveil:
il vous repousse des cravates,
et loin de tout sommeil
le règne de l’épate exclut
toute métamorphose –
ici les mots diront les choses,
fini l’enchantement –
ah que revienne le tourment
de l’enfant qui rêvait…
Comme un recours angélique
(En mémoire de Paul Léautaud
dont les derniers mots furent :
« foutez-moi la paix !))
Des mains de vieux lui sont venues :
des mains qui lâchent prise,
des mains qui ne concevront plus
de fresques ni de frises,
des mains qu’on dirait inutiles
aux chantiers importants,
des mains qu’on jugerait futiles,
en tout cas infertiles –
des mains égarées dans le vide
sans autre lendemain –
des mains qui pourtant se rebiffent
à recoiffer les friches…
À croire qu’il n’y a plus à faire,
qu’à parler aux enfants,
insupportables garnements,
lui rappelant pourtant
ces années joliment rebelles
qui rendent la vie plus belle ;
plus rien que les yeux de l’aïeul
plus rien que cet esprit
constellant ses lazzis :
le vioque assurément se moque
du peu de fantaisie
des nouveaux règlements prescrits…
Chats et chiens seront les témoins
qu’il y avait un saint
caché au cœur de l’emmerdeur
jurant qu’il ne serait jamais pris
à l’illusion de paradis ;
et voici qu’un chœur tout là-haut
retentit dans le ciel
peint en bleu du vieux théâtre
et voilà que la Poésie
contre toute pensée saumâtre
fait croire à l’infini…
Comme dirait le ciel
Nous sommes-nous assez parlé ?
te demanderas-tu,
songeant aux derniers jours vécus
de qui tu as aimé,
aussi te tourmenteras-tu,
sans le dire à personne,
mais la nature bonne,
aux fées à jamais généreuses,
vous retrouve et résonne
de voix familières et radieuses…
Ce que tu n’as pas dit,
elle le savait bien,
les mots, tu le sais bien aussi,
ne disent parfois rien
de ce qu’ont avoué les yeux,
ou rien qu’un ton de voix,
ou le tremblement d’une main
s’efforçant de parler…
Ce qu’on dira de vos amours,
des passions cruelles
et autres trahisons mortelles,
ou de l’autre merveille
que ce fut d’aimer sans détour,
ne sera jamais que l’ombre
de ce que me dit en secret
le ciel du pur aguet…
Comme on dit qu’on dit…
(Allegretto sul serio)
On dit qu’y faut dire ce qui est:
on-dit: faut ce qu’y faut,
on dit le faux tant que le vrai
et qui dit le faux
ne sait pas toujours qu’il y a du vrai ,
disons: parfois du vrai
dans ce qu’on dit le faux,
et l’on conclut qu’y faut pas dire
que le faux est le seul défaut,
mais ce qu’on dit est une chose
et le reste on le tait:
c’est la poésie de la prose…
Il y a ce que l’on dira,
et comment on le dit:
un tel t’assènera son dit,
tel autre sourira en te disant
que ce que tu en dis
ne regarde que toi ,
et toi tu te dis: :ah qu’ils disent !
et ça fait une église
ou le faux et le vrai cousus
partagent la chemise…
Tout serait question de mesure,
dit le tailleur au théosophe,
et ton aura dans le cosmos,
autant que ton karma se disputent,
mais le philosophe dira: se discutent,
on peut en dire ce qu’on voudra ,
on peut dire: laisser dire,
et le cobra laissera dire,
se rappelant que du serpent
on a dit tout faux pour de vrai –
enfin juste pour dire…
Comme aux ciels étoilés
On les aura laissé tout seuls
faute de temps pour ça,
pour le uns retirés dans les bois,
les autres aux abris
de fortune des oubliés;
ils se seront éteints discrets,
modestes et secrets,
frémissants en leurs humbles voiles
dans le doux charroi des étoiles …
À quoi avait pensé son père,
seul avec son cancer,
du peu de nouvelles des siens;
pensait-il à son propre père
en son dernier asile ?
et qui viendra me voir ce soir,
demande-t-il à son miroir
évitant son regard…
Les nébuleuses remuant
au ciel indifférent
n’ont que faire de vos sentiments
d’enfants de tous les âges
passant de merveille en carnage ,
et pourtant soyeuses au regard,
comme liées entre elles,
elles vous font lever les yeux
scintillants autant qu’elles…
Comme une inspiration
Les vents voudraient tout effacer,
ou disons que les gens
prêtent l’intention aux vents
de tout faire oublier,
quand le vent, autant que le temps
n’est qu’un souffle du grand parler
en langage oublié
qu’ici et là à bouche d’or
parlant les yeux fermés
tel inspiré par quelque sort
délivre en son essor…
Au dam de toute répugnance,
une parole éclaire,
de ses ondes et de ses lumières
la confusion immonde,
où tout et le contraire de tout
s’exclut en inclusion :
il y a trop de mots partout,
partout et nulle part,
le sort est jeté au hasard :
le vent numérisé
serait la fin de tout essor…
Mais le vrai parler reste ailleurs :
le franc-parler serait
de dire ce que parler veut dire
et ce serait alors chanter,
recourir au délire;
on disait que parler en langue
reliait aux divinités,
et ce qu’on disait reste dit
en langage secret…
Comme une maison retrouvée
(Chanson de La Désirade)
On reviendrait à la maison:
on n’a pas oublié,
on a traversé les saisons,
ce qu’on dira : voir du pays,
et ce qu’on n’a pas dit,
ce qui offense la mémoire,
ce qu’on n’a pas voulu
ou qu’on ne veut pas reconnaître –
mais ce n’était pas moi !
en accusant le traitre
qu’il y avait peut-être là,
tout au tréfonds de soi –
on n’en sait rien, ou mieux :
on préfère ne pas savoir –
on ne pense à l’instant
qu’à la maison au coin des bois…
Il y a partout des champs de ruines,
du ciel on voit la terre,
et ce qui exulte et fulmine,¨
ceux qu’on bénit, qu’on assassine,
celle qui vous accueille
et ceux dont on recueillera
les derniers mots au soir,
après des jours de désespoir;
et dans les ruines les errants
ne pensent qu’à revoir
cette maison au coin des bois
qui existe ou peut-être pas…
Un-deux-trois-quatre-cinq-six-sept-huit,
fait un octosyllabe,
suivi d’un-deux-trois-quatre-cinq-six ,
au jeu des contrerimes,
et c’est parti pour la chanson
en rimes et raisons
possiblement déraisonnables
qui diront à façons
ce que raconte la maison…
Comme en protestation
(Par façon de libelle)
Tu dis la multitude grise,
tu juges de ton haut,
tu ne vois partout que des sots,
tu te poses en église,
en procureur de tribunal
ne voyant que le mal,
et te voici gesticulant
au nom du dieu Bâton
vénéré des plus vertueux
chevaliers bien rasés,
proprement lavés et branlés
de l’armée des grimaciers…
Nous autres en ville traversons,
sages entre les clous,
portant nos croix et le barda
dans le bruit et le flou
des jours qui vont ou ne vont pas,
et quand nous piétinons
ne serait-ce qu’un humble rat
passant juste par la ,
nous demandons pardon …
Pardon à la sévère vie
promise au cimetière,
pardon à l’assemblée morose
des justes indignés
par nos péchés puant la rose,
pardon d’être nus en naissant,
pardon même d’être innocents,
et merde à vos dieux méchants
se prétendant uniques
par vos seuls décrets maléfiques –
pardon à la Beauté si belle,
pardon à la Bonté rebelle !
Also sprach Hölderlin
Le tumulte et le sang des fleuves :
ton jeune corps lancé
au rebond souple des gazelles,
pur esprit du ressort
qui donne à ton seul mouvement
la grâce de l’animal…
Ne te retourne pas !
La félicité la plus haute
que l’Unité résume
découle aussi du bond
d’un premier chant de solitude
élancé vers le ciel
et ses échos en multitudes
où le temps et l’espace
se fondent en incertitude…
Ne sois plus sûr de rien !
Le vieux poète un peu foldingue
en sa dernière tour
s’exalte et se griffe au sang vif:
l’Apollon de Tubingue
parle en langue comme un prophète,
ou la donnant au chat
paraissant d’une folle fête
faute d’être écoutée…
C’est un grand langage oublié
qui ressurgit parfois,
en bribes ou en éclats d’éclairs –
écoute mieux en toi !
Alter ego
Il ne sera jamais perdu:
une main le retient,
aux lieux dits les plus dangereux
où son penchant le porte,
son autre Je l’escorte
qui d’un mot le détournera
des périls sans enjeux ;
les dieux seraient presque jaloux
d’une telle alliance
sans ignorer rien de ce fait
de la pure confiance…
On est là comme à la maison :
ce qui semble un dédale
aux froides conversations
s’entrouvre soudain et partout,
aux petits faits chagrins
mais qui en disent long sur tout,
tant qu’aux desseins secrets,
que révèle dans l’éphémère
le plus tendre mystère…
Nous serons un peu à l’écart,
souriant dans le noir,
notre alliance paraît équivoque
aux mesquins qui se moquent,
mais que nous importe l’important
de ces cages sans portes
au dernier lever des amarres
dans l’effusion du soir…
Comme un devoir de ne pas croire
(Contre la foi qui tue)
À mon ami Alain Dugrand, et à sa douce.
Le ciel se serait obscurci :
une nuit de l’esprit
se serait répandue partout
et vous aurait transis
comme au tréfonds d’un vaste égout
et cette peur en vous :
comme une main glacée au cœur…
Ils t’auront tous tourné le dos,
ou disons : presque tous,
ils n’aiment pas qui aime trop
les oiseaux ou les fleurs ;
grimaciers et railleurs
ils te feraient la peau,
leurs drapeaux tissant de leurs mots,
toute envie et profit
au fil de la même haine…
Les cendres en pluie nous affligent
retombées de là-bas
où les tueurs institués
infligent à l’Innocent
l’ordre divin de mordre au sang ;
la Parole prostituée
par les tribus mêlées
soit maudite
et l’effigie singeant l’Unique
posément piétinée…
Comme un voyant illettré
Il reste toujours à cheval,
c’est question de principe :
dès ses premiers temps maréchal,
du mental en ses tripes,
il sera le fils de lui-même :
« il n’est pas de problème »
aura-t-il clamé par les ans,
qui ne se règle au fil d’épée,
de taille et puis d’estoc,
mes vers ne seront que du toc –
je suis mon seul aval…
Les psys se sont interrogés
au chevet du sujet :
il n’y a trace chez ce type
du malheureux Œdipe
flinguant son pater militaire
et baisant la mégère
lui tenant lieu de mère sévère –
rien du scénar à bon marché
des catéchèses éculées :
rien que du neuf en ce bel œuf !
Les assis n’en reviennent pas,
les pontifes aux abois
redoutent la déroute :
quoi ce voyou voyant
nous la ferait à l’impériale
caracolant sur sa monture
indomptable cavale –
quoi le temps porté par le vent
et ce chant avenant
feraient l’enchantement
de toute Créature !
Les années en allées
On ne sait où elles ont passé,
J’veux dire : j’ai pas idée
la moindre où elles ont disparu,
en quel temps inconnu,
en quel lieu perdu des allées
et venues de l’oubli;
on se regarde dans la glace,
et nulle trace ici –
on est alors tout interdit…
Tu te sentais un peu largué
devant les beaux nageurs,
tu te disais que l’océan
ne voudrait plus de toi,
ni le ciel de tes envolées,
ni l’attente là-bas
de qui que ce soit à aimer;
tu les voyais plonger,
onduler comme des dauphins –
tu pressentais la fin…
Cependant nous nous sourions,
le semblant nous convient,
renaître vaut autant que naître,
nous répéterons-vous
à la manière des vieux maîtres –
sans le penser du tout…
Comme une joie retrouvée
« La joie exige toujours plus d’abandon,
plus de courage que la douleur ». (Hugo von Hofmannstahl)
Je suis en somme assez gentil
dit le Sage à L’Image,
tantôt fusain tantôt fourmi
dans les instants d’éternité,
et tantôt adagio ;
voici que tu me dévisages
et sonde nos présages
au plus pur de mes yeux ;
voici le bilan de nos âges :
nous serions tout ce que le vent
en sa confuse rage,
n’a su défaire de nos vœux…
L’enfant dessine dans son coin :
le monde est relevé
par son geste réitérant
l’Entête en testament,
le chaos n’est qu’une illusion
à ses yeux innocents :
il en sait plus long sur vos crimes
que le dit la mémoire infirme
de vos aveuglements,
et son crayon sera joyeux…
Tout au déni de l’euphorie,
de la meute repue
s’agitant en mornes lubies,
la plus heureuse compagnie
retrouvée loin des troupes
pratique ses amours en groupe
et vous pince le nez…
Napoléon couronné
(En mémoire de Dino Buzzati)
La vie s’en est allée du chien
bien après que la vue
lui fut affligée de berlue…
Quand il me conduisant de la rue au journal,
hier encore, le front levé,
faisant semblant de me guider,
calme et guindé comme un cheval
entre les clous de l’habitude,
Napoléon le tout dernier
autant que le premier restait fier,
en sa douceur têtue et rude,
fixant au ciel Dieu dans les yeux –
non pas notre dieu de fumée
mais le sien, au ciel, auquel
priant de ses beaux yeux fervents
il demandait de me protéger
en m’attendant dans son panier…
Napoléon que j’ai trompé
plus souvent qu’à mon tour,
solitaire errant par les cours,
misérable et sans lui dans la nuit
avec tant de femmes légères …
Or me voici plus seul ici
devant le pauvre tas
de ce dernier chien de ma vie
plus important que moi…
Concerto
Il n’est plus là même pour moi,
quand il est au piano,
et j’ai beau me faire oublier:
cela même est de trop
comme si l’ombre d’un cheval
piétinait l’idée seule
que je puisse ne pas écouter
le divin concerto…
L’univers est tout harmonie,
tout armes et mélodies,
tout vacarme et polyphonies,
mais je suis d’avant la musique:
je chantais innocente,
et parlais doucement aux orages
avant tous vos tapages .
À l’usine ils m’auront donné
le nom de Mnémosyne…
Moi je suis plutôt opéra:
j’ouvre les bras au monde,
j’aime à l’unisson des divas
moi je ne suis que mélodies
de musique légère,
moi les fanfares militaires
moi les tendres Lieder –
et l’ombre immense danse
au piano des années…
Aux enfants du sommeil
L’esprit se repose la nuit:
il dort le cœur ouvert,
au milieu des bois il sourit
aux ombres endormies…
Je t’attends là-bas au revers
des lunes du secret
où se trament les drames
et se dénouent parfois, ou pas,
les faits et les méfaits,
dit-il à l’enfant qui lui dit:
entendez-vous le ciel qui parle,
les yeux clos en ces heures
où personne n’a moindre garde
de braver la camarde
ou d’ajouter à d’autres peurs ?
Et toi qui fais parler le ciel ,
les yeux à fleur de terre,
en solitaire ardent,
n’attends de nous que la prière
que nous inspirent les dormants…
Contemplation
(En mémoire de Thierry Vernet)
Le soir la mer n’en finit pas,
dans l’ombre ralentie
d’aller et venir sans fracas
sans éclats, sans envies,
sans plus aucun élancement,
comme nous écoutant…
Nous sommes là tout silencieux
songeurs et sans voix,
muets entre les deux ombrages
de la mer et des bois ;
tout se tait sous le grand ciel bas
tout ne semble que paix…
Un nuage immobile passe,
ni d’hiver ni d’été
la nuit l’effacera sans trace
mais sans nous retourner
nous l’aurons oublié
comme la grâce de l’Instant
reçue comme en passant…
Comme un tour d’horizon
On irait faire encore un tour,
on prendrait tout son temps,
les mots d’amitié et d’amour
seraient de mise autant
que le vœu de silence –
on irait en toute innocence…
Je mettrais de l’ordre par là,
j’veux dire : par là autour,
de la cuisine au galetas ;
il est bien beau de promener
ses idées en plein air,
mais l’ordre au cœur de la maison
de l’âme débonnaire
ménage d’autres ouvertures
égales d’aventure…
Le mouvement seul de la ronde
même marchant tout droit
le long des rues ou par les bois
délivre de l’immonde ;
on ferait comme aux jours allés
d’amitié et d’amour
trois petits tours et puis s’en va…
Fantaisie de l’Instant
Cet instant doit être marqué,
qui sera sans pareil,
son nom devrait être gravé
dans le marbre du ciel,
son initiale en majuscule :
Instant présent, voici,
tu concentres en toi toute vie,
sans le savoir et sans le dire,
comme tu nous inspires,
tu es le souffle qui respire,
de toute Fantaisie…
Ce matin il faisait tout gris
sur le monde assoupi
tout alors dans cet indicible
relevait du possible,
oui tout était à révéler,
tout l’envers du semblant banal
et tout le juvénile
des ardeurs inutiles,
alors l’élan de se lever
est venu dans l’instant
au jour s’ébrouant en la joie
de se retrouver là…
Le Temps s’est un peu raccourci
à voir passer l’instant
sans réelle attention,
comme étréci en ce qu’on dit :
juste tuer le temps,
n’être plus que fumée au vent
plus qu’Instant en débris…
La mer aux fleurs passées
Le vert de la mer nous survit,
et c’est toute une joie,
de lauriers roses en mimosas,
de la savoir là-bas,
remuante et parfois cruelle,
splendidement indifférente
en son miroir factice
de moires photogéniques,
ou lisse et douce comme une main
ridée de vieille fée
souriante et complice…
Les instants restent en suspens
au fronton des églises
de loin en loin les fins clochers
aux anciens carillons
et les anges de pierre
à jamais si douce au toucher
font semblant de vous croire
adonnés à l’Éternité…
Reconnaissance, disais-tu,
mon amour disparu,
et mon sourire aux fleurs
est comme une vengeance
défiant toute peur –
crânerie dérisoire
de nous autres les vieux acteurs…
Te souviens-tu de ça ?
Tout aura bientôt disparu,
dira-t-il aux oiseaux,
enfin tout: je le dis pour moi,
vous autres volerez,
vous le ferez quoi que ce soit,
comme depuis toujours,
sans le savoir à ce qu’on sache,
mais saura-t-on jamais –
saura-t-on ce que l’oiseau cache ?
Tu te tais au milieu des fleurs,
ton ombre passera
oublieuse de ces couleurs,
mais ce n’est pas l’oubli
ce n’est pas ta main qui efface
de tes larmes la trace…
Ne me parlez pas de chagrin,
je marche dans la rue,
sous le ciel aux ailes perdues
hélas je n’entends plus
les musiques jouer là-bas,
ne me croyez pas amnésique –
je me souviens de ça…
Le Pourquoi du Comment
L’esprit du conte est révélé
à l’insu du dormeur :
il est le rêve ensorcelé,
le déni des torpeurs,
le défi du penser vague,
le nageur précis qui divague,
comme une allégresse joueuse
en fronde radieuse…
On ne saura jamais pourquoi
ni vraiment comment
se vit la lenteur de l’instant,
comment ruse l’oubli,
par quelle voie tout s’illumine,
quelle fine étamine
aura filtré les éboulis –
on en reste interdit…
Quand au ménages anciens,
eh bien : qu’ils déménagent !
Faisons retour au fulgurant,
sans savoir ni comment
l’éclair éclaire les images
au dam de tout pourquoi,
et faisons fi de toute loi
qui ne soit d’évidence
celle-là seule de la danse…
Avatars du seul Nom
Comme en lever d’apparition,
les choses seront là,
comme en attente du seul Nom
qui les désignera;
mais qui jamais de quelle voix
prononcera le Nom ?
Qui jamais le dira ?
Qui jamais dans le Temps,
peindra l’odeur du premier chant ?
Pendant ce temps un grouillement
au néant des cupides
brasse le vent qui se dévide:
CELA ne sera pas nommé:
cela ne sera que le nombre:
l’ombre du monde sans secret,
le haut mal étendu:
le haut mal devenu mondial…
Le nom de l’enfant est donné,
qui le fait apparaître:
tout le mystère est éclairé –
il n’y a qu’un seul être
au premier chant de l’Innocent;
le monde alors est repeuplé:
à la portée des jours
c’est la musique des vocables –
et tout sera nommé: crénom !
Comme un refus de poétiser
(En mémoire de Rainer Maria Rilke)
Ils font comme si de rien n’était,
ne parlant que d’Ailleurs
scrutant le ciel et ses secrets
pour se sentir meilleurs ;
ils n’en ont qu’aux très grande choses,
au mépris de vos proses –
le Poëme leur donne des ailes…
La Vieille signe d’une croix,
la guerre lui a tout pris
à l’exception de son Julien,
ce fieffé bon à rien
dont elle raffole des sonnets,
attribués dans le journal
au nouveau Villon cantonal ;
et mieux que personne elle sait,
que lorsqu’il dit qu’il aime
c’est d’elle que parle le poème…
La poésie ne sert à rien,
et ce n’est que cela
qui le tient sans jamais faillir :
il n’aspire plus alors qu’à dire
sans trembler ce qui est
ce qu’on ne dit pas du secret
des sensations grandioses,
mais cela simplement qui est :
de l’odeur du sang dans les roses,
et des réalités
au dam de toute enjolivure
du vain et beau parler
se gavant de mots qui rassurent…
Ne pas savoir nager
La chose est dure à dire:
le poète ne dira vrai
que s’il est rude à cuire
et s’il se tient au frais…
Traverser le fleuve chinois
sans s’accrocher aux jonques,
à l’écoute des conques,
relève du seul exploit…
Or tel est le poème
que nulle page ordinaire
résolvant le problème
n’a jamais su refaire.
Le poème ne se refait pas !
Allez le répéter,
mais ne le faites pas:
nulle cigale n’a de clef.
(Ce que Mandelstam dit de Dante,
Proust l’a dit et redit.)
Comme un refus d’obtempérer
Je n’ai su ce qu’il fallait dire :
j’étais abasourdi :
l’aile noire s’était abattue
il n’y avait plus ici d’issue,
et là-bas un silence obtus
s’étendait par le soir ;
il y avait partout ces mots
faits pour tout annuler,
ces mots qu’on suppose aux idiots
qui ne veulent rien dire
ou plutôt qui font de la vie
l’envers de ce qu’elle est
quand elle veut échapper aux instances
de la désespérance…
Nous autres aux âmes attentives
accordées aux murmures
des affligés les plus fragiles,
nous lèverons contre les murs
nos échelles lègères,
inéluctables transerelles
aux vertus messagères ;
nous avançons tout en désordre
opposés à l’opprobre
des Justes supposés
quoique tout voués à l’injuste –
nous prônons l’échappée…
Nous échappons à vos aguets,
déjouons vos contrats ;
n’ignorant rien des forfaits,
nous faisons ceux qui son refaits,
souriants et diserts;
nous parions pour le désert
où nous goûterons à la vie
avec quelque amis…
Au doux parler
Le style nouveau de la douceur,
le fameux dolce stil;
si dice: dolce stil nuovo,
rétablit la valeur
de la douce chanson des mots…
À l’insane jactance en cours,
au discours des chaos,
le style subtil au jour le jour
oppose l’harmonie
labile des oiseaux…
Tu es telle mon hirondelle,
dans le torrent des airs,
en joyeux tourbillons,
que les vers en ribambelles
à leur tour jailliront …
Au fond du ciel est un mobile
secret et radieux,
dont la grâce efface la trace,
tout au plaisir présent
d’un murmure volubile…
BOTTOM
SOMMAIRE
- Vers d’autres pays
- À corps perdu
- Élégie des illuminés
- Le banal appareil
- Notre défi
- Faute de secours
- Pièce à l’ombre du doute
- Nuages de beau
- Tenu à quel secret
- Le cheval
- Élégie intranquille
- Ce qu’étaient nos étés
- Cahiers d’été
- Renard aux amants retrouvés
- Notre guerre en douce
- Où tu t’en vas…
- À mon frère, là-bas
- Une langue à venir
- Divines présences
- N’importe quoi
- Ce que la nuit dit au silence
- Au silence de tes yeux
- Notre temps au lasso
- Ce don précieux
- Ode à la déraison
- Le Vrai
- Le vrai du faux
- Elle et le petit chat
- Canto
- Ne pas savoir d’amour
- Mon âme fille de joie
- Conseils de l’Arbre
- Lorsque le bleu revient
- Deux ombres claires
- Gracias a la vida
- Poussière d’étoiles
- Nos chemins esseulés
- La chambre de derrière
- Avec ma révérence
- Aux lendemains qui chantent
- Aux couleurs d’ailleurs
- Élégie de la patience
- Comme une alliance
- Rêverie en forêt
- Spleen de Rimbaud
- Doublure
- Comme un Rembrandt
- À l’instant retrouvé
- Éloge du tendre
- Le Temps accordé
- Jusqu’à l’ouvert
- Féerie fiction
- Au plus lent sommeil
- Ainsi du chat Patience
- Parler des silencieux
- Avant toute chose…
- Le soupir du chat
- Mémoire de l’Arbre
- La paix de nos clairières
- En mal d’innocence
- Aux âmes radieuses
- Eva